L’audiovisuel américain, une cartographie sommaire… et un boa constrictor

L’audiovisuel américain est un système beaucoup plus riche et complexe que ses homologues européens. La taille du marché est bien sûr un premier facteur de différence avec l’Europe. Les entreprises américaines s’adressent à 322 millions de personnes, quand le marché européen est fragmenté en 27 entités avec leur propres langues et leurs réglementations. Mais la principale différence est la présence de l’ensemble de la chaîne de valeur qui va de l’amont (les technologies, les créateurs) à l’aval (les moyens de distribution, salles, câble, satellite, réseaux hertziens, fournisseurs d‘accès à Internet, boitiers), et qui alimente le monde entier. Dans de nombreux segments de cette chaîne de valeur les Etats-Unis sont le seul atelier du monde, le seul autosuffisant, et les autres pays, notamment en Europe, n’ont en réalité aucune autonomie véritable. Par ailleurs, au pays de la libre entreprise, les réglementations sont surabondantes : fédérales (la FCC, Federal Communications Commission) mais aussi à l’échelon des Etats, voire des municipalités. A ces textes s’ajoutent des pratiques syndicales très contraignantes. Les avocats forment donc une composante significative de l’emploi audiovisuel global.

Ce système complexe employait 822000 personnes en 2021 dans des contrats réguliers (à l’exclusion donc des emplois très courts ou des stagiaires ). C’est presque 11 fois plus qu’en France (la population américaine n’est que 5 fois plus nombreuse que la française). 170000 comédiens et comédiennes avaient eu au moins un contrat en 2021. En France on recense 5000 comédiens et comédiennes, dont les trois quarts uniquement au théâtre. Lors des grèves de 2023 les syndicats de scénaristes (WGA, Writer Guild of América, 11500 membres actifs) et de comédiens (SAG-AFTRA, Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists, 160000 membres) ont été capables de mobiliser plusieurs millions de dollars pour supporter une grève de cinq mois. On résume parfois la force de l’audiovisuel américain à ses grandes entreprises et leur rouleau compresseur marketing. Il faut prendre aussi la mesure de la puissance d’une autre armée américaine, celle des quelques 200000 créatifs, comédiens, comédiennes, scénaristes, réalisateurs, réalisatrices, artistes des effets spéciaux. Les entreprises et les créatifs dépendent les uns des autres, la force des unes soutient la force des autres, mais si on peut s’inquiéter à bon droit de la santé d’une partie des grandes entreprises du secteur, il n’y a en revanche aucune raison de douter de la capacité du système audiovisuel américain à créer des œuvres.

Lire la suite

Le cinéma à la française n’est pas éternel

Le cinéma français vit un moment paradoxal. Côté pile l’argent coule à flot, les réalisatrices françaises viennent de décrocher successivement une Palme d’or, un Lion d’or et un Lion d’argent, et selon Unifrance les films français arrivent en troisième position dans l’offre des services de streaming mondiaux, loin derrière les films américains mais nettement devant les films britanniques ou chinois notamment. En 2021 le British Film Institute a actualisé sa liste des 100 plus grands films de l’histoire du cinéma dans laquelle 846 critiques ou cinéastes du monde entier font figurer 23 films français. Comparée à la situation des salles aux Etats-Unis, en Chine, en Allemagne ou en Italie, la situation française est nettement meilleure, l’année devant se terminer en retrait d’environ 25% par rapport aux années d’avant-covid. Ce sera probablement moins 50% en Chine et moins 33% aux Etats-Unis. Il y aurait de quoi être fier de notre cinéma. Mais côté face les professionnels, faisant un usage modéré des comparaisons internationales, s’inquiètent de la faible fréquentation dans les salles de certains films français, dont cependant la part de marché est bien supérieure, pour les dix premiers mois de l’année, à celle de la décennie en cours. Certains sonnent le tocsin et réclament d’urgence la tenue d’états généraux. Le vieillissement du public, le trop grand nombre de films, la médiocrité des scénarios font l’objet d‘articles et d’interviews alarmistes. Sans parler de la rengaine ridicule sur le prix des places.

Mais on peut craindre que cet affolement peu fondé sur le court terme soit en revanche un excellent moyen de ne pas voir le véritable problème qui se pose à moyen terme, celui du big bang du cinéma français.

Lire la suite

Réalisatrices de cinéma: tendances et public

Avec une Palme et un Lion d’or en 2021 pour Julia Ducournau et Audrey Diwan, avec la parité au jury du festival de Cannes et à l’Académie des Césars, avec 99 nouveaux films agréés par le CNC en 2021 réalisés par des femmes, soit 29% du total, tout semble bien orienté pour la longue marche de la cause des femmes dans le cinéma français.

Mais dans ce concert d’autosatisfaction du milieu, légitime par bien des aspects, où l’on parle surtout de nombre de films, le public et les chiffres de fréquentation sont cependant absents. Or ils dressent un tableau bien différent, et moins réjouissant.

Lire la suite

2022, une année normale ? Partie 2 Merci l’Etat

Cet article prolonge celui paru au début du mois de février qui portait sur les dépenses audiovisuelles des consommateurs. On connait à présent les chiffres du marché publicitaire en 2021 et plusieurs synthèses des actions de l’Etat dans le domaine en réaction à la pandémie, ce qui permet de compléter le tableau de l’économie du secteur.

Lire la suite

2022, une année normale? (partie 1)

Même si les chiffres des salles de cinéma en janvier sont très mauvais, peut-on espérer que 2022 soit la première année « normale » depuis 2018 dans notre domaine ? A partir du bilan de l’année écoulée, en s’appuyant sur les tendances observées au cours des douze dernières années, voici quelques analyses de ce que pourrait signifier une année « normale» pour les dépenses audiovisuelles des ménages, soit les trois quarts des flux financiers qui alimentent le système. Dans une seconde partie, publiée ultérieurement, nous intégrerons les recettes publicitaires de la télévision et en tirerons les conséquences pour l’amont du domaine, la production de films de cinéma et la production audiovisuelle.

Lire la suite

Qui a empoisonné le DVD ? Mise en examen des télécoms, des Majors et du PS

Danger! Espèce précieuse mais menacée de disparition. Mais ça ne s’est pas fait tout seul, et une petite enquête conduit à interroger des suspects. Meurtre? Empoisonnement? Suicide? Non-assistance à trésor en danger? (Ceci est la version actualisée en mars 2022 d’un article paru initialement en mai 2019)

Lire la suite

La disparition : le triste destin des films de plateforme

Au moment où les services de svod américains sont présentés comme devant renouveler, voire réinventer l’écosystème du cinéma français, il peut être utile de se pencher sur le bilan, provisoire, des films de long métrage que ces plateformes ont proposé en exclusivité. Bilan clairement décevant pour l’instant. A cela il y a des raisons. Durables. Mais il s’agit surtout de l’apparition et du développement d’un modèle radicalement différent de celui du premier siècle du cinéma. Dans ce nouveau modèle la qualité perçue des films n’a plus vraiment d’importance. Les notions de succès ou d’échec, de médiocrité ou de qualité, et avec elles la mémoire de ces films, disparaissent.

Lire la suite

Une nouvelle aube audiovisuelle ?

La mise en place de la directive SMA en France est-elle une révolution audiovisuelle comme l’avait présentée la ministre de la culture dans un entretien aux Echos? Tout bien pesé, en fait, oui et non. Oui parce qu’elle va entrainer une profonde mutation des modes de régulation du secteur, tant pour le CSA que pour le CNC ou l’Autorité de la Concurrence. Oui parce qu’elle peut augmenter fortement les commandes de séries aux producteurs français, avec un certain nombre d’effets de bord. Oui enfin parce qu’elle consacre dans la loi le basculement du centre de gravité du secteur au profit des plateformes. Mais non pour le cinéma, car elle ne lui apportera pas grand chose tout en ne réglant aucun de ses problèmes. Et non surtout parce que la directive ne fait qu’accompagner des tendances à l’oeuvre depuis longtemps sans les infléchir. Enfin, au-dessus des oui et des non, plane également un si: si les plateformes respectent vraiment ces contraintes.

Lire la suite

Cinéma : Aubenas d’abord, Los Gatos plus tard

La crise mondiale du printemps 2020 fait craindre ou parfois espérer qu’il y ait un avant et un après, où beaucoup, sinon tout, serait changé. La table rase est toujours plus excitante que le prolongement des courbes. Mais pour l’audiovisuel cela n’en prend pas le chemin. Au contraire la crise accentue jusqu’à la caricature des tendances déjà à l’œuvre et plusieurs fois décrites sur ce site. Elle accable les maillons affaiblis du système, elle renforce encore ses composantes dynamiques. Elle rend encore plus urgentes des adaptations, pas seulement réglementaires, qui étaient déjà nécessaires depuis plusieurs années.

Lire la suite

Le risque absent des films-catastrophe

Le cinéma, c’est comme l’astronomie. Avec une bonne vue, une nuit claire, dans un endroit désert, on peut voir un bon millier d’étoiles. Comme le nombre de films qu’un bon amateur de cinéma pourrait citer si vous l’enfermiez quelque temps dans une cave. Mais les astronomes disposent d’instruments qui, braqués sur une partie du ciel, vont révéler un fourmillement d’étoiles dans un coin de ciel où, à l’œil nu, il ne semblait n’y en avoir aucune. C’est pareil pour le cinéma : si vous prenez un coin du « ciel », par exemple le western, là où un amateur ne verra que trois dizaines de films, un spécialiste en citera plusieurs centaines. Le zoom peut ainsi être approfondi non pas vers l’infini, contrairement aux étoiles, mais en pratique au-delà de l’entendement humain. Que le télescope s’appelle Patrick Brion, Jean Ollé-Laprune ou IMDB il n’y a pas de domaine qui ne puisse décourager la recension. Ainsi, s’agissant de la catastrophe au cinéma, il faut prévenir d’emblée le lecteur qu’il ne bénéficiera ici que d’une modeste lunette à faible grossissement. Il est bien possible que l’heureux possesseur d’un instrument plus puissant s’insurge contre l’absence ici de tel astre oublié, ou conteste le fait que telle ou telle partie de la voute étoilée paraisse vide alors que pour lui elle est peuplée. Mais de même que l’on a coutume de résumer le ciel par 88 constellations qui en permettent une description sommaire mais pratique, il ne s’agit ici que de parcourir à grandes enjambées une foisonnante filmographie pour en dégager les grandes lignes.

Lire la suite