2022, une année normale ? Partie 2 Merci l’Etat

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Cet article prolonge celui paru au début du mois de février qui portait sur les dépenses audiovisuelles des consommateurs. On connait à présent les chiffres du marché publicitaire en 2021 et plusieurs synthèses des actions de l’Etat dans le domaine en réaction à la pandémie, ce qui permet de compléter le tableau de l’économie du secteur.

1 : En 2021 le domaine a retrouvé son niveau de ressources privées de 2019

La publicité à la télévision, qui avait perdu 375 millions d’euros en 2020, malgré une forte croissance de l’audience pendant les phases de confinement, a crû de 17% en 2021 pour légèrement dépasser son niveau d’avant crise. La publicité en général, et celle à la télévision en particulier, est fortement élastique au PIB et avec une croissance de plus de 7% ce rebond était attendu. Il n’en reste pas moins exceptionnel : comme le relève l’IREP il avait fallu attendre trois ans lors de la précédente crise de 2008-2009 avant de retrouver le niveau d’avant crise, et d’autre part le niveau de 2021 est, sans tenir compte de l’inflation, le plus haut depuis 2007. La part de la télévision dans le total des recettes publicitaires des médias continue pourtant à diminuer :

Source: IREP Bump 2021

N’oublions pas, à la lecture de ce tableau, le poids écrasant de deux entreprises seulement, Google et Facebook, dans les 56% de recettes qui vont au numérique .

2 : La mesure des aides de l’Etat à l’audiovisuel en période de Covid

Ce n’est pas un sujet simple. L’Etat a réagi très rapidement à la situation, rapidité saluée tant par la plupart des professionnels que par la Cour des Comptes. Mais entre les mesures décidées, dès mars 2020, et leur exécution il s’écoule un certain temps et il est difficile de démêler ce qui a été effectivement versé en 2020 de ce qui a dû attendre 2021, voire 2022. D’autant plus que la gamme des mesures est par ailleurs très large :

  • Aides directes du CNC soit au titre des mesures d’urgence soit dans le cadre du plan de relance (au total 353 millions d’euros sur deux ans)
  • Mesures d’aides générales à l’économie mais dont ont bénéficié également des entreprises de l’audiovisuel : fonds de solidarité (pour les petites entreprises), financement partiel du chômage partiel, réduction de charges sociales. Le secteur audiovisuel considéré ici (donc hors jeu vidéo et production de spots publicitaires) en a bénéficié pour 460 millions d’euros sur les deux années.
  • Mesures financières générales telles que les prêts garantis par l’Etat (PGE) ou par l’augmentation des dotations de l’IFCIC.
  • « Année blanche » pour les intermittents du spectacle (mais cela a surtout concerné le spectacle vivant)
  • Augmentation du crédit d’impôt audiovisuel de 108 M€ en 2020 par rapport à 2019

Pour essayer d’y voir plus clair nous disposons de deux documents. L’un est l’audit flash de la Cour des comptes paru en septembre 2021 :  « mesures spécifiques de soutien au cinéma prises lors de la crise sanitaire » . L’autre est l’avis parlementaire remis à l’Assemblée Nationale par la députée Céline Calvez le 20 octobre 2021. Ce sont deux documents d’une nature différente, rédigés à quelques mois d’intervalle ce qui explique certaines différences de chiffres mineures. Le document parlementaire est très détaillé en ce qui concerne les mesures spécifiques gérées par le CNC, et le rapport de la Cour des Comptes propose en outre une analyse de l’impact dans le secteur des mesures générales. Précisons que la Cour elle-même reconnait à plusieurs reprises qu’il est difficile de s’y retrouver.

Sauf erreur ou omissions on peut résumer ces résultats dans les deux tableaux suivants :

  1. Les aides spécifiques gérées par le CNC
source: avis Assemblée Nationale Céline Calvez
  • Les aides au titre des mesures générales à l’économie
source: Cour des Comptes

NB : ce tableau s’appuie sur celui de la page 28 du rapport de la Cour des Comptes avec une définition plus restreinte de l’audiovisuel et sans retenir les prêts garantis par l’Etat, qu’il faudra rembourser.

Ces deux ensembles de mesures correspondent donc à une aide au secteur de 814 millions d’euros, auquel il est légitime d’ajouter l’aide fiscale supplémentaire de 108 millions d’euros au titre de l’extension du crédit d’impôt en 2020.

Les lecteurs attentifs des publications du CNC ont cependant en mémoire l’introduction du bilan du CNC pour l’année 2020 qui exposait en juin 2021 des chiffres différents :

« Les dotations exceptionnelles allouées par l’Etat au CNC pour financer des mesures de soutien liées à la crise sanitaire s’élèvent à ce jour à plus de 400 M€ pour 2020 et 2021, en plus des dispositifs transversaux de soutiens de l’Etat (PGE, fonds de solidarité, activité partielle…), qui ont représenté 827 M€ en 2020. »

Nous avons préféré ici nous en tenir aux chiffres présentés devant le Parlement et par la Cour des Comptes qui sont notablement inférieurs, en particulier pour les dispositifs transversaux.

3 : Le « quoi qu’il en coûte » a-t ‘il surcompensé le Covid ?

Il y a deux réponses possibles à cette question délicate, suivant qu’on reste au niveau global du domaine ou que l’on entre dans le détail de ses composantes. Regardons d’abord le problème en considérant le système audiovisuel comme un tout :

Dans un premier temps, on peut se contenter de mesurer, à ce niveau systémique, les effets de la pandémie, à la fois sur l’évolution des recettes privées qui alimentent le domaine ainsi que sur les concours de l’Etat.

En 2020 l’écroulement de la fréquentation des salles et la baisse des recettes publicitaires des télévision n’ont pas été compensées ni par le supplément de dépenses de streaming ni par les premières aides de l’Etat. Prises globalement les ressources qui alimentent le système ont donc baissé de 376 M€, soit environ 3% par rapport à 2019, et sans l’Etat la baisse aurait été de 6%[1].

Cependant l’année 2021 a été significativement différente de 2020 : reprise des salles à partir du 19 mai, forte reprise du marché publicitaire de la télé (+17%) et dépenses effectives de l’Etat accrues.

En 2021, les ressources globales de l’audiovisuel ont donc dépassé leur niveau de 2019. Cela aurait été également le cas sans la contribution de l’Etat, avec les seules dépenses privées des ménages et des entreprises. En ce sens on peut alors voir, pour 2021, une « surcompensation » des effets du covid. Le « quoi qu’il en coûte » aurait profité au secteur. Mais ce serait une conclusion erronée si on considère maintenant les deux années comme un tout : les aides publiques ont été sur deux ans de 814 M€, ce qui correspond assez précisément à la perte de ressources privées de 2020 (-817 M€).

Mais si on entre dans le détail des composantes du système, la question d’une sur-compensation possible se pose différemment. Les pertes de chiffre d’affaires sont une chose, mais leurs conséquences sur l’économie des entreprises en est une autre plus difficile à appréhender. Prenons le cas des salles de cinéma. En 2020 elles ont connu une perte de chiffre d’affaires hors taxes (TVA et TSA) de 868 millions d’euros (base film). Mais sur le chiffre d’affaires constaté au guichet la moitié environ remonte au distributeur (et à la Sacem). Donc le « manque à encaisser » en propre des sociétés d’exploitation de salles de cinéma a été de l’ordre de 430 millions en 2020. Cependant la fermeture des salles a également entrainé des économies de charges ; la « perte » économique des salles n’a pas été de 430 millions, mais de cette somme diminuée des économies de charges. Il faudrait alors comparer les 301 millions d’euros d’aides exceptionnelles perçues, pour moitié dans le cadre des dispositifs du CNC, l’autre moitié sous formes des dispositifs généraux, avec le compte d’exploitation de ces entreprises. Ce n’est pas à notre portée ici, mais remarquons que les résultats nets des groupes CGR et Les Cinémas Pathé-Gaumont sont restés positifs en 2020 (ce n’est pas le cas d’UGC). Par ailleurs on ne peut que se réjouir du fait que la ministre de la cuture ait affirmé à plusieurs reprises qu’aucune salle de cinéma n’avait fermé en France dans la période, ce qui, pour un secteur perdant brutalement les deux tiers de son chiffre d’affaires, tend à indiquer que l’aide a été, disons, à la hauteur.

Plus remarquable est la situation des entreprises de production audiovisuelle. Le bilan du CNC pour l’année 2020 indique une baisse du total des devis de la production d’œuvres de 108 M€ en 2020, dont 66 pour la fiction, mais en grande partie due à un effet de mode de comptabilisation des séries de Canal+. Par ailleurs, il faut désormais ajouter aux productions aidées par le compte de soutien du CNC, celles, non aidées, produites par les services de svod : environ 60 M€ en 2020. Malgré les interruptions de tournage les chiffres de l’Unedic indiquent que le recours aux intermittents par le secteur de la production audiovisuelle a été en 2020 de 88% de son niveau de 2019 et de 108% pour l’animation. Pour 2021 les chiffres du CNC ne sont pas encore disponibles mais il est très probable qu’ils auront retrouvé leur niveau de 2019, à quoi s’ajouteront les quelques 160 millions d’euros commandés par les services de svod (donnée issue de l’Observatoire de la vidéo à la demande publié par le CNC en décembre 2021). Le secteur de la production audiovisuelle a donc connu un « manque à produire » de l’ordre d’une cinquantaine de millions d’euros en 2020, puis au contraire une croissance de la production en 2021. Mais les entreprises du secteur ont obtenu des aides pour 153,5 millions d’euros au titre des dispositifs généraux (Cour des Comptes) et de 26 M€ en 2021 par le plan de relance du CNC. Il est probable que les aides aient en partie bénéficié aux entreprises de production de flux, non suivies par le CNC, et sur lesquelles les chaînes de télévision, publiques et privées, ont fait porter l’essentiel de leurs « ajustements de grille » en 2020. Cela étant les plus grosses de ces entreprises appartiennent aujourd’hui à des groupes diversifiés dans le flux comme dans le stock, Mediawan, Banijay, Newen notamment, qui ont sans doute été à même d’absorber le choc du flux par la bonne santé du « stock ». Il ne semble pas, là non plus, que beaucoup de producteurs audiovisuels, en tout cas de fiction ou d’animation, soient sur le point de mettre la clé sous la porte, bien au contraire.

La Cour des comptes relève enfin que les distributeurs de cinéma ont été relativement peu aidés par les dispositifs covid-19, évoquant diplomatiquement une moins grande « organisation » de cette profession par rapport à l’exploitation ou la production. Comprendre : un lobbying moins puissant. Mais une bonne partie des distributeurs sont également producteurs. Les deux professions réunies ont obtenu 170 millions d’euros pour les deux années cumulées, 80,5 M€ au titre du CNC et 90 M€ par les aides générales. Ce n’est pas négligeable mais probablement pas suffisant, ici, pour effacer les conséquences, à la fois économiques et humaines, des fermetures de salles et des difficultés de tournage et de montage de nouveaux films. C’est surtout le cas des distributeurs, sur lesquels plane une menace stratégique plus lourde, celle du poids croissant des services « intégrés » de la svod dans le nouveau paysage.

Conclusion :

L’Etat a apporté lors des deux dernières années (un peu) plus d’argent que le domaine n’en avait perdu sur le marché. Encore ce constat pourrait-il être renforcé en intégrant d’autres mesures, celles visant les intermittents, les PGE, ou les fonds de garantie. Mais il y a au moins deux raisons de penser que c’est une bonne chose. La première est le fait d’avoir préservé les salles de cinéma. Il faut le répéter: le réseau de salles de cinéma est une pièce essentielle de l’économie du secteur, non pas directement par ses remontées de recettes, mais indirectement car elle seule justifie les dispositifs de promotion, gratuits et payants, qui donnent de la valeur aux films. Que les salles se replient, comme dans d’autres pays, sur les grandes métropoles et les villes universitaires et c’est toute l’économie du cinéma qui se détricoterait. Il est possible qu’il y ait eu, ici ou là, quelques effets d’aubaine pour quelques acteurs mais ce n’est pas cher payer la sauvegarde de ce véritable patrimoine national qu’est le réseau de salles, pour lequel il fallait agir vite et fort sans multiplier les dispositifs bureaucratiques, aussi légitimes qu’ils puissent être en temps normal. La seconde raison est relative à la notion de plan de relance. La Cour des Comptes remarque qu’il est difficile, dans les actions du CNC, de bien distinguer ce qui relève de la sauvegarde et ce qui relève de la relance, mais une chose est sure, c’est qu’il n’y a pas de “relance” sans augmentation des ressources, au-delà de la simple compensation des effets de la pandémie.

Le secteur a regagné globalement son niveau d’avant-crise du covid et va sans doute retrouver à présent son sentier de croissance faible de long terme. Mais cette approche globale peut paraître justement trop globale. Elle ne rend pas compte des recompositions internes au système. Dans un contexte au total favorable, plusieurs composantes sont pourtant en difficultés : les salles de cinéma ne retrouveront sans doute pas leur niveau de fréquentation des dernières décennies, le documentaire et les émissions de flux se portent moins bien que la fiction ou l’animation, l’audience de la télévision retrouve sa tendance à la baisse, en particulier pour les moins de 35 ans, etc. Pourtant l’approche globale est indispensable parce que de très nombreux paramètres de l’économie du système sont en fait des pourcentages des recettes globales : obligations de production en cinéma ou en audiovisuel, rémunération des auteurs, remontées de recettes, relations entre les distributeurs au sens large et les éditeurs. Ce n’est pas évident au niveau concret des aventures professionnelles, mais le nombre et le prix des documentaires par exemple dépend assez étroitement des recettes publicitaires des chaînes et du montant de la redevance. Car le squelette du système audiovisuel est articulé autour d’une cascade de pourcentages, parfaitement rigides car encadrés par la réglementation pour certains, difficilement renégociables pour d’autres.


[1] Il y a un an (5 février 21) nous estimions cette baisse à 9% dans l’article intitulé L’économie de l’audiovisuel en 2020-2021. Mais comme expliqué dans le nouvel article 2022, une année normale ? Part 1, nous avons cette année amélioré la prise en compte des dépenses effectives des consommateurs, notamment pour la redevance et les chaînes payantes. Sur cette nouvelle base, améliorée et plus large, la baisse de 2020 est plus faible.

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1 réflexion au sujet de « 2022, une année normale ? Partie 2 Merci l’Etat »

  1. Merci Alain pour cette analyse argumentée parmi les croisements et recoupements de données!
    La réponse à la question est positive et le sens de ta conclusion est un bel encouragement à l’un des mes projets actuels, rouvrir une salle de cinéma dans ma commune. La première séance a eu lieu le 12 mars; 312 places, 300 tickets vendus…
    La dynamique de ton propos tombe à pic, Bravo!

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