Le crépuscule de Warner

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Qui aime le cinéma aime Warner, ou au moins l’admire. Sous son label a été inventé le parlant, s’est développée la couleur, a été créée une suite ininterrompue de chefs-d’œuvre et de succès, et la révolution des séries. Du moins sur les écrans. En revanche si l’on franchit la scène on découvre au contraire une caricature de ce qui est dénoncé comme le pire du capitalisme au XXI° siècle. La finance avant la bonne gestion industrielle, la gestion industrielle avant le respect des personnes. Des dirigeants fautifs aux rémunérations gargantuesques, des conflits et du mépris, des vies brisées. L’impunité derrière les slogans ronflants de prétendus visionnaires. Une stratégie toujours présentée comme au service de la création de valeur pour les actionnaires mais dont les effets concrets sont la destruction de dizaines de milliards de dollars. En 2024 il semble cependant que l’histoire touche à sa fin. Selon de nombreux experts la survie de Warner n’est pas assurée, du moins sous sa forme actuelle d’un conglomérat.

Mais avant de parcourir la tumultueuse histoire financière de ce phénix déplumé il faut se rappeler qu’il s’agit d’abord de la plus fertile aventure audiovisuelle de l’histoire.

1 : Le plus beau studio du monde

Warner a été créée en 1923 et n’a mis que quelques années pour rejoindre le groupe des Majors d’Hollywood. Au passage elle avait « inventé » le cinéma parlant avec Le Chanteur de Jazz (1927), embauché Ernst Lubitsch, lancé John Barrymore et acquis quelques éditeurs musicaux dans une industrie naissante avec George Gershwin à son catalogue. Dans les années trente elle distribuera 577 films, plus d’un par semaine, sera une des pionnières du Technicolor (Les aventures de Robin des Bois) et installera le cinéma d’animation dans les salles avec les Looney Tunes (Tex Avery, Bunny, Daffy Duck). Par la suite elle accumulera les chefs d’œuvre au cours de chaque décennie (Casablanca, Le Faucon Maltais dans les années quarante), y compris dans les années soixante, pourtant la pire période du cinéma américain. Bonnie and Clyde, la nuit de l’Iguane, la horde sauvage sont des films Warner, tout comme ceux du Kubrick d’après 2001, la quasi-totalité des films de Clint Eastwood, la saga Harry Potter, dernièrement Barbie, Dune 2. Son catalogue contient plus de 75 comédies musicales, comme des dizaines de westerns. C’est de loin le plus riche du monde, également pour les séries : Game of Thrones, Westworld, Sex and the City, les Soprano, fleurons des séries d’HBO, filiale de Warner. Au passage, après avoir été un acteur clé du parlant et de la couleur Warner fut à l’origine en 1977 de Qube, un service interactif d’abord expérimental sur le câble qui proposait quinze ans avant Internet de l’interactivité, de la communication bidirectionnelle, du pay-per-view, bref un réseau audiovisuel large bande.

A certaines époques le logo Warner ornait également des disques (Neil Young, Led Zeppelin, the Doors entre autres), des livres (Calvin et Hobbs), de la presse (Time, Fortune), des parcs de loisirs (à Madrid par exemple), des réseaux câblés, des jeux vidéo (le récent Hogwarts Legacy inspiré d’Harry Potter commence par le logo Warner), voire des cosmétiques (Ralph Lauren entre autres) avec la division Warner Cosmetics, vendue à L’Oréal en 1984.

2 : Une succession de fusions-acquisitions chaotique.

Au cours des années soixante la plupart des grands studios américains changent de propriétaire et Warner ne fait pas exception. Avec quelques péripéties, Jack Warner cède son entreprise progressivement de 1966 à 1969. Le nouveau patron, Steve Ross, qui venait d’une entreprise de pompes funèbres, conduira l’entreprise à un nouveau cycle de succès jusqu’à son décès en 1992.

Un épisode est toutefois significatif des faiblesses inhérentes au monde des fusions-acquisitions, celui du rachat d’Atari en 1978. Cette société avait inventé le marché des jeux vidéo et disposait aux Etats-Unis d’une situation de quasi-monopole. L’entreprise fondée en 1971 par Nolan Bushnell avait connu le premier succès de ce secteur en plein essor, Pong, puis lancé la deuxième génération de consoles de jeu. Elle avait même employé un temps Steve Jobs et Steve Wozniak avant qu’ils ne partent fonder Apple. Mais quand Warner prend le contrôle d’Atari elle remplace un inventeur, Nolan Bushnell, par un manager, Ray Kassar. Le mépris de ce dernier pour les développeurs conduira à la catastrophe. Les meilleurs s’en vont et iront fonder Activision qui produira d’excellents jeux compatibles avec la console d’Atari. On peut lire à ce sujet Once Upon Atari le livre d’un des développeurs, Howard Scott Warshaw.

Quatre ans après c’est la catastrophe, Atari ira creuser dans une décharge du Nouveau-Mexique pour y enfouir les jeux invendus. Le jeu vidéo est considéré comme mort, et l’arrêt d’Atari ouvrira grande la porte à Nintendo. En réalité la crise du jeu vidéo n’était pas due à un désintérêt du public, comme la suite l’a spectaculairement prouvé, mais à la mauvaise gestion de Warner, leader du marché, qui a progressivement mal géré le nombre et surtout la qualité de ses jeux, faute de talents.

En 1979 Warner, qui avait créé une division câble en 1973, forma une joint-venture avec American Express, Warner-Amex Satellite Entertainment, pour mieux exploiter ses chaînes thématiques sur le câble, dont notamment MTV à partir de 1981. Mais l’ensemble était un attelage bancal et fut finalement vendu à Viacom en 1985. Entretemps c’est tout de même Warner-Amex qui avait été l’opérateur de l’innovant réseau interactif Qube.

En 1989 Warner entreprend de fusionner avec Time Inc, une grande société de presse magazine présente également dans le câble et qui avait également financé le lancement d’une prometteuse chaîne payante, HBO. Après quelques rebondissements, dont une offre concurrente de la part de Paramount, et un communiqué annonçant que c’était Time qui rachetait Warner et non l’inverse, Time Inc est payée 14,9 milliards de dollars. En janvier 2018, la division presse écrite de Time-Warner sera revendue pour 2,8 milliards de dollars, mais la fusion Time-Warner restera ensuite comme la plus réussie de toutes, en comparaison de celles qui suivront, grâce à HBO mais aussi en donnant au groupe une position significative dans le câble.

L’affaire suivante, la fusion avec le groupe de Ted Turner, Turner Broadcasting, en 1995 fut beaucoup plus compliquée. Elle apportait à Warner, pour environ 9 milliards de dollars, CNN et le mini-network WTBS mais aussi l’énorme catalogue des films de MGM (de 1924 à 1986) que Turner avait racheté. Mais la gouvernance du conglomérat devint un nid de problèmes, entre la place à donner à Ted Turner, la volonté d’indépendance de HBO et les multiples liens capitalistiques et commerciaux notamment avec Comcast et le redoutable John Malone.

Cependant ces deux dernières acquisitions, Time et Turner, malgré les difficultés furent ensuite des réussites commerciales et industrielles. Ce fut loin d’être le cas des suivantes.

En janvier 2000 fut annoncée la fusion entre Warner et AOL, société aujourd’hui défunte mais qui à l’époque était une star de la bourse et semblait contrôler l’accès à Internet. Cette annonce eut l’effet d’une bombe dans l’univers des médias. En France elle fut largement utilisée par Jean-Marie Messier pour justifier ses projets autour de la fusion Vivendi-Universal-Canal+. Peu d’attention fut accordée au fait que l’opération avait été préparée en secret par Gerald Levin, le président de Warner, à l’époque très affaibli à la suite de l’effroyable mort de son fils, enseignant dans le Bronx, enlevé et torturé après qu’il ait été découvert qu’il était le fils d’un patron. La plupart des dirigeants de Warner découvrirent les discussions entre Steve Case, patron d’AOL, et Levin la veille de l’annonce. La fusion fut autorisée au début de 2001, au moment où la bulle Internet explosait déjà. L’annonce portait sur l’acquisition de Warner par AOL pour la somme de 182 milliards de dollars. Les actionnaires d’AOL auraient 55% du capital de la nouvelle entité et ceux de Warner 45%. Le patron d’AOL, Steve Case serait le président et celui de Warner, Gerald Levin, deviendrait simple CEO. Au début 2000, au sommet de la bulle Internet, AOL voulait profiter de son extraordinaire valeur en bourse pour acheter une « vraie » entreprise. l’opération était censée créer un géant valant plus de 360 milliards de dollars.

Le livre de Nina Munk « Fools rush in » (Harper Collins 2004) décrit par le menu l’annonce de la fusion et le choc des cultures qui s’ensuivit.

Ce fut en effet une épouvantable catastrophe, pas seulement financière (l’ensemble ne valait plus que 70 milliards dès 2003) mais également humaine. Ted Turner, premier actionnaire de Warner avant la fusion, a parlé de suicide. La quasi-totalité des grands dirigeants des deux groupes ont quitté la société dès les deux premières années, après de graves disputes et humiliations. En 2015 Warner s’est débarrassée de ce qui restait d’AOL pour 4,4 milliards de dollars auprès de Verizon (télécommunications). Deux ans après AOL a été vendue pour la moitié, fusionnée avec Yahoo et puis son nom a fini par rejoindre le cimetière des “nouvelles technologies”.

Cependant, même catastrophique, la période AOL n’avait pas chamboulé Warner en profondeur. Le groupe conservait une culture d’entreprise décentralisée: HBO faisait de la télévision, le studio faisait des films, CNN de l’info et chacun gérait sa maison. Le câble, lui même très indépendant et rétif à l’idée de “synergie” avait été filialisé en 2009 en conservant le nom de Time Warner Cable. Hélas, après une dizaine d’années de relative stabilité capitalistique, les grandes manœuvres reprirent en 2014 avec le raid de Rupert Murdoch et de Fox tentant de racheter Warner pour 80 milliards de dollars. L’offre fut refusée par les actionnaires de Warner, bien qu’elle proposait une surcôte de 22% au-dessus de la valeur initiale du groupe, mais Fox payait l’essentiel en actions Fox sans droit de vote. Pourtant l’idée que Warner puisse valoir 80 milliards de dollars n’était pas tombée dans l’oreille de sourds parmi les actionnaires. Et en 2017 la proposition d’ATT de racheter Warner pour 85 milliards de dollars fut accueillie avec satisfaction. Mais ce fut peut-être le début de la fin de l’ancien Warner, en tout cas du modèle décentralisé qui prévalait alors. Warner devint une division de ce groupe de télécommunications, d’abord nommé ATT media business avant de reprendre le nom de Warnermedia. La cohabitation entre les Texans des télécoms et les « saltimbanques » de la télévision s’avéra là aussi impossible, pire encore que celle entre les startupers d’AOL et les dirigeants de vieux médias. Les patrons de branche de Warner, dirigeants reconnus d’entreprises rentables, furent traités comme des collégiens, avec cours de Powerpoint à la clé. De nombreux départs affaiblirent considérablement Warner, et ATT décida en 2022 de se séparer de sa branche audiovisuelle en la fusionnant avec le groupe Discovery. L’opération ne valorisait plus Warner que pour 43 milliards de dollars, apparemment la moitié de la somme de 2017. Mais ce type de deal est complexe et les montants évoqués par la presse doivent être pris avec du recul. Par exemple ATT avait en réalité acheté Warner pour 42,5 milliards « seulement »  en cash en 2018 et conservait 71% du nouvel ensemble WarnerDiscovery.

L’arrivée de David Zaslav, le patron de Discovery à la tête du groupe accentua encore le sentiment de crise et de déclin comme l’expose un grand article du New York Times du 15 novembre 2023. Dès 2023  le nouveau groupe a annoncé un plan d’économie de 3, puis 3,5 puis 4 milliards de dollars, des licenciements massifs chez HBO, CNN et dans les chaines de télévision. Une énième restructuration des divisions du groupe a été engagée dans la douleur.

En avril 2024 WarnerDiscovery ne valait plus que 20 milliards de dollars. Sur l’ensemble de l’année 2023, première année du nouveau groupe, l’action a perdu 25% quand en sens inverse l’indice du Nasdaq progressait de 32%.

3 : WarnerDiscovery aujourd’hui

Le groupe répartit son activité en trois segments :

  • « Networks » représentait environ 50% du chiffre d’affaires en 2022 et regroupe les activités de chaînes de télévision linéaire : CNN, Discovery, HGTV, Cartoon Network, TCM, TBS, TNT sports, Eurosport en Europe. Légèrement plus de la moitié de ces 23 milliards de dollars provenaient des reversements des câblo-opérateurs ou autres distributeurs de télévision, le reste (9,6 milliards de dollars) étaient des recettes publicitaires. Ce segment est le seul significativement rentable du groupe avec un résultat opérationnel de 3,8 milliards. Malheureusement c’est celui dont le déclin apparait certain, tant sur le marché publicitaire qu’avec la baisse continue des abonnés au câble américain et donc des revenus de distribution.
  • « Direct to consumer » est désormais composé du seul service de svod  Max, qui regroupe les abonnés de HBO (même ceux en linéaire), et de l’ancien service Discovery+. En 2023 le service semble avoir réduit ses pertes et a connu au moins un trimestre en léger excédent d’exploitation. En revanche, en 2022, malgré des recettes de 9,7 milliards de dollars (21% du total du groupe), le résultat opérationnel était catastrophique avec un solde négatif de 5,7 milliards. Toute la communication financière du groupe repose sur la promesse que ce segment va devenir rentable et même compenser les baisses prévisibles de recettes du segment « networks ». Max va être lancé en Europe et notamment en France mais on peut prévoir que cela ne contribuera pas, au moins à court terme, à améliorer la rentabilité du groupe.
  • « Studios» est en fait un fourre-tout qui regroupe notamment la production de films, celle de séries, la distribution de films et les ventes de jeux vidéo. Le cinéma est l’activité la plus prestigieuse du groupe, la seule à disposer d’une notoriété internationale. Depuis 2012 six films Warner ont dépassé le milliard de dollars de recettes dans les salles de cinéma, obtenues hors des Etats-Unis aux deux tiers. Cependant, même si le studio produit régulièrement des grands succès et maintient une part du marché américain du cinéma comprise entre 13 et 18% depuis quinze ans, le cinéma ne pèse pas plus de 15% dans les recettes du groupe. Au total l’activité « studio » qui recouvre également la production pour la télévision représentait en moyenne 30% de ces recettes en 2022 comme au premier semestre 2023. Malgré les chiffres parfois astronomiques des recettes au box-office, la partie qui revient effectivement à Warner est secrète et en tout cas toujours bien inférieure. Le montage d’un film d’Hollywood est une opération opaque et très complexe.  Beaucoup de films “Warner” sont en fait des co-productions et la structure des remontées de recettes, elle aussi secrète, est très variée. Pour approfondir cette question de la rentabilité d’un film aux Etats-Unis on peut lire notamment l’article fondamental de Stephen Follows sur son site. Par ailleurs les données de Warner sur le segment « studio » agrègent quatre domaines dont le modèle d’affaires est très différent : la production de cinéma (avec une importante part de risque), celle de télévision (dont une large part des coûts est préfinancée), la distribution de films (sans doute le sous-segment majeur) et les jeux vidéo. Globalement le segment « studios » était légèrement bénéficiaire en 2022 avec un excédent d’exploitation de 541 millions de dollars.

Source : Rapport annuel pour 2022, rapports trimestriels

Au total le solde d’exploitation de ces trois segments était négatif de 1,4 milliard de dollars.

Dans ce contexte le conseil d’administration de WarnerDiscovery est-il désespéré, au bord de la démission? La réponse permet de comprendre comment fonctionne un grand groupe audiovisuel américain comme WarnerDiscovery dans ce qu’on appelle les C-suites, les étages de direction où les titres commencent par C (CEO, CFO, COO, CTO etc). On peut alors jeter un regard sur les rémunérations des dirigeants de Warner (tableau déconseillé aux âmes sensibles).

Source : Warner proxy statment 2023

Rappel : L’action Warner a perdu 25% de sa valeur en 2023, elle a été divisée par 4 depuis le début 2021. Le groupe est en déficit. En mars 2024, Warner ne valait plus que 20milliards de dollars. On n’ose imaginer ce que seraient ces rémunérations si le groupe était rentable.

4 : Et demain?

Vue d’aujourd’hui l’histoire du groupe Warner de ces trente dernières années est celle d’un blob, un organisme tentaculaire en mutation permanente. Des branches apparaissent puis disparaissent, comme la presse magazine, le nombre de chaînes de télévision augmente puis se réduit, l’exploitation de réseaux câblés représente plus de la moitié du chiffre d’affaires puis est vendue, comme l’est la très ancienne branche de la musique. Warner est pendant quatre ans le leader mondial des jeux vidéo puis ferme cette activité avant de recréer Warner Games. Sans oublier la géométrie variable des activités annexes ou sporadiques comme le sport ou les parcs de loisirs. Ni les permanentes réorganisations, regroupements, divisions, associations avec des tiers qui ont donné le tournis à la plupart des équipes.

Ce qui doit être relevé pourtant c’est que ce désordre réel, et ruineux pour les petits actionnaires, n’a pourtant pas été perdu pour tout le monde. Les banques d’affaires appelées au chevet de ces deals ont régulièrement enregistré de très confortables bénéfices sachant que chacune de ces opérations s’étale généralement sur au moins deux années. Comme vu précédemment les principaux dirigeants des sociétés, qu’elles soient acheteuses ou vendeuses, perçoivent d’important bonus à l’occasion de ces deals. Ainsi David Zaslav, qui dirigeait Discovery et a pris la tête du nouveau groupe, a reçu en 2021 69,6 millions de dollars au titre de la fusion. Steve Case à l’origine de la catastrophique opération AOL-Warner s’en est pourtant bien sorti puisqu’après avoir quitté la tête du groupe il figurait encore dans la liste des 400 plus grandes fortunes américaines quelques années après son départ.

Mais non moins impressionnante est la capacité du groupe, dans son métier d’origine, l’image, à rester créatif même dans les pires moments. Ainsi les années 2000, consternantes dans les coulisses, ont pourtant été très fertiles à l’écran avec les six premiers Harry Potter, le début de la collaboration avec Christopher Nolan (Insomnia, trois Batmans), Charlie et la chocolaterie, la série des Matrix, Ocean Eleven, Polar Express, etc, etc. Sans oublier le renouvellement en profondeur de la série TV à partir de West Wing et des Sopranos (1999), Six feet under ou Band of Brothers (2001), The Wire (2002) ou Rome en 2005. Comme si les remous du capitalisme audiovisuel, derrière le rideau, n’avaient pas de prise sur la création, sur la scène.

Mais en 2024, malgré les succès récents de Barbie, Wonka, ou Dune 2, par ailleurs dûs à des personnes qui ont été virées par l’équipe actuelle, l’entreprise Warner est dans une situation très difficile. Le cours de son action semble avoir durablement décroché en-dessous des évolutions des principaux indices boursiers. Sa capitalisation boursière est désormais de l’ordre de 20 milliards de dollars avec une dette de 45 milliards. La majorité des analystes estiment qu’elle devrait perdre de l’argent à nouveau en 2024 pour la troisième année consécutive. Les charges financières de sa dette ont presque quadruplé depuis 2021. Il ne semble pas possible que la société continue dans sa forme actuelle, et aucune perspective favorable n’est plausible en ce qui concerne l’évolution de ses recettes, même si à l’automne 2023 sont service de streaming, Max a cessé de perdre de l’argent, sans doute en partie pour des raisons conjoncturelles. Les scénarios possibles sont alors les suivants :

  • Une nouvelle vente de Warner à un groupe audiovisuel plus puissant. Mais les deux candidats audiovisuels cités parfois dans la presse, Comcast et Disney, sont eux-mêmes très endettés. Paramount est hors-jeu, étant dans une situation encore pire que celle de Warner. Cet hiver des discussions préliminaires ont eu lieu entre les deux, suivies d’un tir de barrage de commentaires défavorables, résumé dans un article au vitriol d’Hollywood Reporter. En particulier une telle fusion poserait un problème de concurrence évident et une année électorale aux Etats-Unis n’est pas une circonstance propice à ce type d’initiative. Au surplus la perspective d’un retour au pouvoir de Trump obscurcit encore le tableau dans la mesure où ce dernier ne porte pas Hollywood en général dans son cœur, et le propriétaire de CNN en particulier, et pourrait donc faire bloquer la fusion.
  • Un rachat de Warner par un groupe de la Silicon Valley. Apple est parfois évoquée, mais Google ou Meta sont envisageables. Ces groupes en ont sûrement les moyens mais le problème de concurrence principal se déplacera alors des Etats-Unis à l’Europe où tout renforcement de ces sociétés est scruté avec attention. Mais le rachat de MGM par Amazon en 2022 pour la somme déraisonnable de 8,5 milliards de dollars a créé un précédent et aiguise les appétits. MGM est certes une marque intéressante (Amazon a d’ailleurs fini par rebaptiser MGM+ son service de streaming en Amérique du Sud) mais la société rachetée était largement une coquille vide, d’ailleurs immédiatement absorbée dans Amazon studios. Si le cours de la coquille vide est à 8,5 milliards de dollars, le studio Warner peut nourrir de grands espoirs.
  • La vente progressive d’activités pour se désendetter. La filiale DCU qui exploite des franchises de DC comics serait la première visée, comme le reste des actifs musicaux. Mais ces opérations ne sont pas d’un ordre de grandeur suffisant face à la dette du groupe. Le problème est que Warner a déjà vendu ses activités dans la musique en 2004 (à Edgar Bronfman qui l’a ensuite revendu au groupe Blavatnik), dans la presse (Time) en 2013, et dans le câble à Charter en 2015. Il y a bien quelques chaines thématiques comme TCM, TNT sports, Discovery, Cartoon Network, Eurosport mais on se rapproche alors du cœur de métier et il n’est pas sur que ces chaînes linéaires valent grand-chose seules dans le contexte actuel de baisse des recettes publicitaires. Restent donc quatre noyaux durs : HBO (devenue le service de streaming Max), le studio, le catalogue et CNN. Mais la vente d’un de ces joyaux de la couronne ruinerait sans doute la légitimité de la réunion du reste dans un groupe et serait fatale.
  • Le plus raisonnable en 2024 serait dans une première étape la réunion de deux voire trois services de streaming, Max, Peacock et Paramount+. Tous trois sont déficitaires (sauf Max pendant un semestre), tous tirent la valorisation boursière de leur maison mère vers le bas, aucun ne semble en mesure de trouver sa place entre les services de dumping d’Amazon et Apple, ni non plus face à Netflix et Disney+. Il est probable cependant que l’obstacle à cette issue soit l’ego des CEO des trois groupes Paramount, Warner et Comcast. Ou leur rémunération.
  • Le scénario de la fuite en avant n’est pas non plus tout-à-fait à exclure comme l’indique l’extension du service Max en Europe et notamment en France, ce qui ne devrait pas contribuer rapidement à la rentabilité du groupe.

Warner est donc dans la situation la plus inconfortablement incertaine des quatre groupes historiques. Disney a des problèmes mais les surmontera, Comcast en a peu et Paramount en a trop. Mais Warner ne peut ni croître, ne serait-ce qu’à cause de sa dette, ni diminuer sans risque d’éclater. Il est certain cependant que la marque, elle, ne disparaitra pas, ni le plaisir de voir ou revoir un de ses 5000 films.

Cet article fait partie d’un ensemble de six textes sur ce site qui forment un tout: la cartographie, Le vieil Hollywood: anatomie d’une chute, puis quatre analyses consacrées respectivement à Disney, à ParamountGobal, à Comcast et donc à WarnerDiscovery

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[i] Warner possédait déjà 18% du capital de Turner Broadcasting, la transaction de 1995 portait donc sur les 82% restant soit 7,5 milliards.

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