La réforme en cours de discussion au Parlement (avant que la dissolution de l’Assemblée ne l’enterre, une nouvelle fois) n’a été précédée d’aucun document qui en présenterait l’économie. Cela est plutôt surprenant de la part d’un gouvernement auquel on a souvent reproché le recours massif à des cabinets de conseil. La même remarque peut être adressée à des parlementaires, notamment LR, qui planchent sur ce sujet depuis au moins 2015 (rapport Leleux-Gattolin). Au contraire la réforme de 2009 créant l’entreprise unique France Télévisions avait au moins été précédée en 2008 par le rapport de la commission Copé qui consacrait sa quatrième partie à cette question (pages 37 à 46 du rapport).
Alain Le Diberder
Paramount Global, chef d’œuvre en péril
Le quatrième groupe de la « bande des quatre » (Disney, Warner, Comcast, Paramount) est le plus petit, le plus mal en point financièrement et celui dont l’histoire est la plus compliquée. Paramount Global a fait l’objet depuis plusieurs mois de rumeurs de rachat ou de démantèlement. Des propositions de rachat de la totalité de Paramount Global de la part du petit groupe Allen Media Group pour environ 30 milliards de dollars, dettes comprises, puis d’une proposition à 11 milliards de dollars pour le seul studio par le fonds Apollo, portée en suite à 26 milliards pour l’ensemble du groupe. Le 3 avril, le groupe est entré en négociations exclusives avec le producteur Skydance. En 2024 la note de sa dette a été dégradée à deux reprises par une agence de notation et se situe désormais dans la catégorie junk bonds..
Le crépuscule de Warner
Qui aime le cinéma aime Warner, ou au moins l’admire. Sous son label a été inventé le parlant, s’est développée la couleur, a été créée une suite ininterrompue de chefs-d’œuvre et de succès, et la révolution des séries. Du moins sur les écrans. En revanche si l’on franchit la scène on découvre au contraire une caricature de ce qui est dénoncé comme le pire du capitalisme au XXI° siècle. La finance avant la bonne gestion industrielle, la gestion industrielle avant le respect des personnes. Des dirigeants fautifs aux rémunérations gargantuesques, des conflits et du mépris, des vies brisées. L’impunité derrière les slogans ronflants de prétendus visionnaires. Une stratégie toujours présentée comme au service de la création de valeur pour les actionnaires mais dont les effets concrets sont la destruction de dizaines de milliards de dollars. En 2024 il semble cependant que l’histoire touche à sa fin. Selon de nombreux experts la survie de Warner n’est pas assurée, du moins sous sa forme actuelle d’un conglomérat.
Mais avant de parcourir la tumultueuse histoire financière de ce phénix déplumé il faut se rappeler qu’il s’agit d’abord de la plus fertile aventure audiovisuelle de l’histoire.
Comcast, l’empire
Cet article fait partie d’un ensemble de six textes sur ce site qui forment un tout: Le vieil Hollywood: anatomie d’une chute, la cartographie, puis quatre analyses consacrées respectivement à Disney, à ParamountGobal, ici à Comcast et plus tard à WarnerDiscovery
Comcast est la moins connue des grandes sociétés américaines audiovisuelles, en France en tout cas. Et pourtant c’est sans doute la plus surprenante, et par ailleurs de loin la plus rentable. Elle présente au moins quatre originalités remarquables.
Disney, la forteresse fissurée
La plus connue de toutes les marques de l’audiovisuel mondial, en fait la seule véritablement identifiée dans le monde entier par la très grande majorité de la population, est aussi le plus grand groupe industriel du secteur. Les autres groupes sont de simples entreprises, Disney est un monument.
L’audiovisuel américain, une cartographie sommaire… et un boa constrictor
L’audiovisuel américain est un système beaucoup plus riche et complexe que ses homologues européens. La taille du marché est bien sûr un premier facteur de différence avec l’Europe. Les entreprises américaines s’adressent à 322 millions de personnes, quand le marché européen est fragmenté en 27 entités avec leur propres langues et leurs réglementations. Mais la principale différence est la présence de l’ensemble de la chaîne de valeur qui va de l’amont (les technologies, les créateurs) à l’aval (les moyens de distribution, salles, câble, satellite, réseaux hertziens, fournisseurs d‘accès à Internet, boitiers), et qui alimente le monde entier. Dans de nombreux segments de cette chaîne de valeur les Etats-Unis sont le seul atelier du monde, le seul autosuffisant, et les autres pays, notamment en Europe, n’ont en réalité aucune autonomie véritable. Par ailleurs, au pays de la libre entreprise, les réglementations sont surabondantes : fédérales (la FCC, Federal Communications Commission) mais aussi à l’échelon des Etats, voire des municipalités. A ces textes s’ajoutent des pratiques syndicales très contraignantes. Les avocats forment donc une composante significative de l’emploi audiovisuel global.
Ce système complexe employait 822000 personnes en 2021 dans des contrats réguliers (à l’exclusion donc des emplois très courts ou des stagiaires) selon la Motion Pictures of America (MPA), lobby qui a sans doute tendance à gonfler les chiffres. Mais c’est presque 11 fois plus qu’en France (la population américaine n’est que 5 fois plus nombreuse que la française). 170000 comédiens et comédiennes avaient eu au moins un contrat en 2021. En France on recense 5000 comédiens et comédiennes, dont les trois quarts uniquement au théâtre. Lors des grèves de 2023 les syndicats de scénaristes (WGA, Writer Guild of América, 11500 membres actifs) et de comédiens (SAG-AFTRA, Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists, 160000 membres) ont été capables de mobiliser plusieurs millions de dollars pour supporter une grève de cinq mois. On résume parfois la force de l’audiovisuel américain à ses grandes entreprises et leur rouleau compresseur marketing. Il faut prendre aussi la mesure de la puissance d’une autre armée américaine, celle des quelques 200000 créatifs, comédiens, comédiennes, scénaristes, réalisateurs, réalisatrices, artistes des effets spéciaux. Les entreprises et les créatifs dépendent les uns des autres, la force des unes soutient la force des autres, mais si on peut s’inquiéter à bon droit de la santé d’une partie des grandes entreprises du secteur, il n’y a en revanche aucune raison de douter de la capacité du système audiovisuel américain à créer des œuvres.
Le vieil Hollywood, anatomie d’une chute
Qu’arrive-t-il à l’audiovisuel américain ? Les grands d’Hollywood, entreprises passées maitresses depuis des décennies dans l’art de la communication financière, bardées de départements de relations publiques aguerris, expliquent qu’elles traversent une période de mutation et qu’elles s’y adaptent. Mais jetons un coup d’œil aux marchés boursiers. Ils ne sont pas infaillibles certes, et leurs fluctuations à court terme sont parfois difficiles à comprendre, mais leur évolution sur plusieurs années fournit un thermomètre sans doute plus fiable.
Voici l’évolution des cours de bourse depuis 2021 et 2019 des principales sociétés du secteur, classés par capitalisation décroissante :
Etats-Unis, Europe, France: les sombres perspectives des télés commerciales
L’été 2023 a vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’économie de la télévision commerciale. En France, à la fin du mois de juillet, TF1 et M6 ont publié leurs résultats pour le premier semestre avec des baisses de revenus publicitaires sur les chaines linéaires respectivement de -9,6 et -7,2%, alors que dans le même temps … Lire la suite
Le Waterloo de la svod française
La fin de Salto venant après la vente d’OCS par Orange laisse un paysage français de la svod désolé. Pour un pays qui a été longtemps à la pointe du combat pour l’exception culturelle, qui affirme avoir inventé le cinéma, qui a inventé Canal+ et construit un arsenal réglementaire audiovisuel et cinématographique parfois admiré à l’étranger, le constat est humiliant : la part de marché des entreprises américaines est la plus élevée parmi les grands pays d’Europe dans un secteur souvent présenté comme l’avenir de l’audiovisuel. Comment en est-on arrivé là ? Est-ce définitif ?
Le cinéma à la française n’est pas éternel
Le cinéma français vit un moment paradoxal. Côté pile l’argent coule à flot, les réalisatrices françaises viennent de décrocher successivement une Palme d’or, un Lion d’or et un Lion d’argent, et selon Unifrance les films français arrivent en troisième position dans l’offre des services de streaming mondiaux, loin derrière les films américains mais nettement devant les films britanniques ou chinois notamment. En 2021 le British Film Institute a actualisé sa liste des 100 plus grands films de l’histoire du cinéma dans laquelle 846 critiques ou cinéastes du monde entier font figurer 23 films français. Comparée à la situation des salles aux Etats-Unis, en Chine, en Allemagne ou en Italie, la situation française est nettement meilleure, l’année devant se terminer en retrait d’environ 25% par rapport aux années d’avant-covid. Ce sera probablement moins 50% en Chine et moins 33% aux Etats-Unis. Il y aurait de quoi être fier de notre cinéma. Mais côté face les professionnels, faisant un usage modéré des comparaisons internationales, s’inquiètent de la faible fréquentation dans les salles de certains films français, dont cependant la part de marché est bien supérieure, pour les dix premiers mois de l’année, à celle de la décennie en cours. Certains sonnent le tocsin et réclament d’urgence la tenue d’états généraux. Le vieillissement du public, le trop grand nombre de films, la médiocrité des scénarios font l’objet d‘articles et d’interviews alarmistes. Sans parler de la rengaine ridicule sur le prix des places.
Mais on peut craindre que cet affolement peu fondé sur le court terme soit en revanche un excellent moyen de ne pas voir le véritable problème qui se pose à moyen terme, celui du big bang du cinéma français.