La croissance souterraine de l’audience des médias audiovisuels étrangers en France

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Pendant longtemps la France est restée un container étanche à l’audiovisuel étranger. Plus que dans n’importe quel autre marché, si on prend le problème par le bout économique, et plus que dans n’importe quelle autre industrie culturelle, la télévision est restée nationale, à l’abri de la mondialisation, en tout cas en ce qui concerne les entreprises. Certes il y a toujours eu des séries et des films américains en grand nombre sur les écrans français, mais ils étaient diffusés en français par des diffuseurs français. La télévision étrangère n’était qu’une bizarrerie régionale réservée à quelques frontaliers, dont les études montraient qu’elle n’obtenait qu’une audience confinée dans la marge d’erreurs statistique, sauf de temps en temps pour un matche de football non retransmis par les chaînes nationales. La diffusion était très majoritairement hertzienne et la loi empêche en France qu’une fréquence soit attribuée à une chaîne détenue à plus de 20% par une entreprise extra-communautaire. Sur le câble et le satellite pourtant des chaînes étrangères, parquées dans des numéros de chaînes à trois chiffres, étaient présentes depuis longtemps mais sans succès.

Le paysage de 2018 est bien différent. Le vieux container fuit de partout. Médiamétrie montre que 9% du temps passé par l’ensemble des Français devant leur(s) écran(s) l’est devant YouTube et Netflix, toutes deux américaines. Mais ce n’est pas tout puisque les chaînes américaines et quataries obtiennent, selon le Médiamat’Thematik, 4,5% de part d’audience globale de la télévision (9% de l’audience chez ceux qui les reçoivent). Les chaînes françaises qui captaient plus de 99% de l’audience audiovisuelle en 2005, n’en ont plus que 86% en 2018. Le tableau suivant résume ces évolutions et propose une projection à cinq ans de ces tendances :

Part d’audience des écrans de télévision (%) 2005 2018 2023
Chaînes françaises 99,1 86,5 61,3
Chaînes étrangères[1] 0,9 4,5 6,8
Services à la demande étrangers 0 9 32

Moins connue et moins bien mesurée est l’audience des chaînes étrangères regardées par la population immigrée ou d’origine étrangère. En France environ 12% des habitants sont nés à l’étranger, 9% sont immigrés. Les pratiques médiatiques des populations immigrées sont très mal connues, d’une part à cause du manque d’intérêt évident de la part des annonceurs, mais aussi en raison des lacunes, voire de l’interdiction de la collecte de statistiques « ethniques ». Il existe cependant en France une société d’enquêtes et de marketing spécialisée,  Solis, qui réalise depuis 2007 une enquête baptisée Horizons médias pour évaluer l’audience, en France, de 24 chaines arabes. En l’absence d’information sur la méthodologie de l’étude (comment fait-on pour réaliser un échantillon représentatif de la population d’origine maghrébine ?) il faut rester prudent quant aux résultats quantitatifs de l’étude, mais les ordres de grandeur sont intéressants :

D’une part la valeur de l’audience cumulée d’Al Jazeera qui était de 47% sur sept jours en 2007 est très impressionnante. D’autre part l’étude indique que l’audience totale (en reach) des 24 chaînes arabes est stable à 72% de la population maghrébine. La baisse d’Al Jazeera, jugée proche d’Al Qaïda et n’ayant pas condamné des attentats perpétrés en Algérie, a profité à Canal Algérie. La population étudiée a opéré dans la période une rapide substitution de la réception par satellite par l’ADSL. Il est indiqué que la chaîne religieuse Iqraa voit son audience croître.

https://www.youtube.com/watch?v=D8vJd8i7l40

Il va sans dire que l’existence de populations nombreuses continuant à consommer régulièrement les médias de leur pays d’origine est un défi politique et culturel nouveau mais hélas souterrain.

Ces calculs ne sont surtout pas destinés à alimenter un réflexe nationaliste et identitaire. Mais ils indiquent que nonobstant les quotas et les restrictions à l’accès aux réseau hertzien, efficaces dans le contexte des années quatre-vingt, le marché réel s’est déplacé et internationalisé en-dessous des écrans radar de la régulation à la française.

Il me semble qu’il y a un risque politique à long terme de segmentation de l’audience de la population : à une extrémité une France très équipée passant plus de la moitié de son temps devant des médias américains, à une autre extrémité une France des cités passant une moitié de son temps à regarder des chaînes étrangères du Maghreb ou du Moyen-Orient (et peut-être l’autre moitié sur Youtube et Netflix)  et au milieu une France « nationale » seule à rester fidèle aux médias nationaux devenus simplement locaux.


[1] Il s’agit des chaînes américaines Cartoon Network, Discovery, Disney, E§, Eurosport, Game One, MTV, National Geographic, Nickelodeon, Paramount, Syfy, TCM, Teletoon, 13ème Rue et Warner TV. A quoi s’ajoutent les chaînes quataries de Bein Sport. D’autres chaînes étrangères ne sont pas mesurées par Médiamètrie.

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