L’avis de la l’Autorité de la concurrence du 21 février 2019 (version mai 2021)

Partager cet article
Follow Me
Tweet

Le 15 juin 2018 la Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale avait demandé à l’Autorité de la Concurrence un avis pour éclairer le Parlement avant l’examen du futur projet de loi réformant la loi audiovisuelle de 1986. L’avis de l’Autorité a été rendu le 21 février 2019 et portait sur l’ensemble de l’économie de audiovisuel, et nous en avions souligné la qualité sur ce site. Il n’a cependant pas servi à grand chose, hélas, pour un projet de loi victime de toute façon de la pandémie, mais sa lecture reste hautement recommandée aujourd’hui, sachant que l’Autorité devant maintenant se prononcer avant l’été 2022 sur le projet de fusion TF1-M6, la doctrine exprimée dans ce document est particulièrement, importante. Si elle n’est pas désavouée.

L”Autorité proposait notamment:

  • d’assouplir les obligations de production cinéma et audiovisuelles, en mutualisant ces obligations au niveau du groupe de télévision et, partiellement du moins, entre cinéma et œuvres audiovisuelles, afin de permettre une meilleure efficacité des investissements et une adaptation, en temps réel, aux goûts du public ;
  • d’assouplir les obligations de production indépendante, en limitant la définition de l’œuvre indépendante au critère de l’absence de détention significative du capital par l’éditeur, sans empêcher ce dernier d’accéder aux droits d’exploitation de l’œuvre.
  • de revoir enfin le dispositif anti-concentration aujourd’hui largement obsolète, afin de l’adapter aux nouveaux enjeux du pluralisme, si cela apparaît nécessaire, et en tout cas, aux nouvelles conditions économiques.

Plus précisément, à propos du marché publicitaire, l’Autorité proposait, dans le cade de la préparation d’une nouvelle loi générale:

– de conforter l’accès aux ressources publicitaires pour les télévisions gratuites, via la publicité ciblée et la levée des secteurs interdits. Il appartient, certes, aux pouvoirs publics de veiller au pluralisme jusqu’ici assuré par la répartition des recettes publicitaires entre cellesréservées à la presse et celles à la télévision. Mais il convient de faire le bilan coûts-avantages d’une politique qui n’a pas empêché la baisse des ressources publicitaires de la presse, tout en laissant les nouveaux acteurs du type GAFA prospérer sur des ressources publicitaires en forte expansion, et leur permettre ainsi de se renforcer vis-à-vis de l’ensemble des acteurs traditionnels contribuant à la production audiovisuelle.

Et plus loin :

  • de revoir enfin le dispositif anti-concentration aujourd’hui largement obsolète, afin de l’adapter aux nouveaux enjeux du pluralisme, si cela apparaît nécessaire, et en tout cas, aux nouvelles conditions économiques.

A partir de la page 50 de l’avis, une analyse relativement détaillée du marché publicitaire concluait notamment au point 197 de l’avis :

De ce fait, la porosité entre les deux marchés (NB: celui de la télévision et celui d’Internet) tend à s’accentuer puisque chaque média est de plus en plus amené à offrir des types de publicité traditionnellement offerts par l’autre afin de mieux répondre aux objectifs spécifiques des annonceurs.

Or, depuis la rédaction de cet avis, les recettes publicitaires du numérique ont augmenté de 16% et celles des télévisions ont baissé de 12% selon le guide des chaînes de TV publié par le CSA en juin 2021. La part du numérique dans les recettes publicitaires des médias était de 37,5% en 2018 mais de 53,7% en 2020. Il serait donc difficile de soutenir que les inquiétudes sous-jacentes à l’avis de février 2019 ne sont pas plus vives en 2021.

Cela étant, dans certains domaines l’Autorité de la Concurrence met en avant une vision très conservatrice des marchés, un exemple en étant, hélas, celui de la svod.

En 2012, l’Autorité avait confirmé un certain nombre de contraintes portant sur Canal+, en particulier pour ses services à la demande, notamment en lui interdisant de proposer des exclusivités issues du catalogue de StudioCanal. Mais ces contraintes étaient justifiées par une grave erreur d’analyse. Ainsi on lit dans l’avis de 2012:

  • (Point 301): L’étude de l’IDATE précitée, remise au CSA en juin 2011, précise ainsi qu’« un service comme celui de Netflix serait bien entendu impossible à opérer en France où la chronologie des médias fixe à 36 mois à compter de la date de sortie en salles le délai à partir duquel un film peut être exploité sur un service de médias audiovisuel à la demande ».
  • (Point 306): Aucun des grands acteurs de l’Internet et de la vidéo à la demande interrogés dans le cadre de l’instruction n’a indiqué avoir l’intention à court terme de lancer en France une offre de vidéo à la demande par abonnement.
  • Hélas, deux ans à peine après cette rédaction Netflix débarquait en France.

Cette analyse discutable du marché de la svod, s’est prolongée au sujet de Salto. En août 2019, l’Autorité à autorisé la création de Salto tout en l’assortissant de lourdes contraintes, justifiées ainsi:

En revanche, pour ce qui concerne les contenus d’expression originale française (« EOF ») et les programmes de flux, l’Autorité a mis en évidence un risque que les sociétés-mères mettent en œuvre une stratégie généralisée de couplage de leurs achats de droits de diffusion linéaire et non linéaire afin de favoriser l’accès de Salto à des droits de diffusion non linéaire, stratégie qui aurait été préjudiciable tant aux concurrents de Salto qu’aux ayants droit. Elle a également constaté que les contrats d’achat de droits de diffusion linéaire conclus par TF1, France Télévisions et M6 intégraient des clauses contractuelles de nature à rendre l’achat de droits de diffusion non linéaire par les concurrents de Salto plus complexe (clauses de holdback, droits de priorité et droits de préemption).

Or qui sont ces fameux “concurrents de Salto”, sinon les plateformes américaines? En effet les plateformes françaises survivantes, FilmoTV et Universciné ne proposent pas de programmes de télévision, mais uniquement du cinéma. Donc en pratique cette décision a consisté à protéger les GAFA.

Conclusion:

L’Autorité de la Concurrence produit souvent de remarquables analyses des marchés, et elle peut comme récemment contre Google prendre des décisions courageuses. Cependant, pour l’audiovisuel, elle semble avoir une difficulté à admettre complètement que le ou les marchés français ne sont plus des containers étanches au sein desquels il faudrait protéger un haut de gré de concurrence française. Les acteurs dominants, tant en matière de publicité que de services payants, de droits sportifs comme de droits de fiction, sont aujourd’hui américains. Y compris sur le sol français. En conséquence les décisions devraient être examinées en se posant aussi la question suivante: les contraintes imposées à des acteurs français ne sont-elles pas aussi et peut-être surtout des avantages accordés à des acteurs étrangers?

Alain Le Diberder

Partager cet article
Follow Me
Tweet

Laisser un commentaire