L’AVOD ou le RSA audiovisuel

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Les données triomphantes avancées par des cabinets d’études anglo-saxons se multiplient, l’AVOD, soit la vidéo à la demande financée par la publicité, est le prochain eldorado. De fait en France les candidats se multiplient aussi : Rakuten.TV, Pluto, Mango, bientôt Rlaxx.tv. Mais les illusions et les incompréhensions de ce qu’enseigne le marché américain risquent de faire des déçus.

1 : la baudruche du marché mondial de l’Avod cache quatre entreprises seulement : YouTube, Facebook, Twitch et Hulu.

En janvier 2020 le cabinet Ampere Analysis a ouvert le bal des prévisions mirobolantes en parlant d’AVOD avalanche. Par la suite le chiffre d‘un marché mondial de l’AVOD de 66 milliards de dollars en 2024 a été repris très souvent. Ainsi, le graphique proposé par Market Insights :

A noter que le chiffre qui parait le plus solide, celui de 2020, soit 27,2 milliards de dollars, est lui aussi une estimation, le rapport ayant été publié en mai 2021 avant la publication des comptes de la plupart des acteurs. La décomposition par société n’est pas fournie, mais on peut observer que le chiffre d’affaires mondial estimé pour YouTube en 2020, soit entre 15 et 18 milliards de dollars, en représenterait déjà plus de la moitié, à quoi on pourrait aussi ajouter Hulu (3,5 milliards) et Switch (1,9). Les autres entreprises que ces trois-là ne se partageraient donc en 2020 que 4 à 6 milliards de dollars. Etrange, à moins de considérer que YouTube ne relève pas de l’AVOD.

Pour y voir plus clair le meilleur moyen est sans doute de se concentrer sur l’économie de l’entreprise la plus intéressante et la plus complexe de ce nouveau domaine, Hulu.

L’économie de Hulu.

Peu connu en Europe, Hulu est un gigantesque service dont la valorisation boursière potentielle est supérieure à celle de la totalité de l’audiovisuel européen. Le service a été créé en 2007 pour proposer un abonnement pour l’accès à des programmes en streaming composés principalement par le replay des chaînes de ses quatre fondateurs, Disney, Fox, Comcast et Warner. Depuis 2019, Fox ayant été racheté par Disney et Warner par ATT, la plateforme est détenue par Disney à 66%, Comcast possédant le reste, mais en tant que sleeping partner avec une promesse de vente en 2024. Le service a démarré essentiellement par du replay mais il est devenu progressivement un gros producteur de contenus originaux qui constituent aujourd’hui 40% de son offre (c’est la même proportion que celle d’Amazon Prime).

Hulu est donc la plus complexe des entreprises du nouvel audiovisuel numérique, étant à la fois un support publicitaire (ses recettes sont équivalentes de celles de l’ensemble des télévisions françaises), un service de svod, une plateforme de replay et un distributeur OTT concurrent du câble.

Pour un abonné il existe quatre portes d’entrées : l’abonnement de base avec de la publicité coûte 6 dollars par mois, l’abonnement « no ads » avec peu de publicité est à 12 dollars, mais Hulu est aussi un distributeur d’autres services payants et il existe d’autres plans, avec ou sans publicité, dits Hulu + Live TV qui peuvent coûter au total plus de 100 dollars par mois (75 dollars en moyenne).

Hulu étant discrètement consolidée dans les comptes de Disney, les informations sur son modèle économique sont des estimations, parfois des supputations mais quatre quasi-certitudes émergent :

  • Au moins jusqu’en 2020, la plateforme a été un gouffre financier perdant régulièrement plus d’1 milliard de dollars chaque année, mais il semble qu’elle commence à être bénéficiaire en 2021.
  • Elle a été cependant valorisée pour 27,5 milliards de dollars en 2019. Un analyste américain réputé, Craig Moffett, estime sa valeur actuelle autour de 57 milliards de dollars.
  • A l’été 2021 Hulu avait 38 millions d’abonnés aux services de base plus 3,8 millions aux services Live TV.
  • Un abonné recevant de la publicité rapporte en moyenne 68 dollars par an.

C’est ce dernier chiffre qui intéresse les promoteurs de l’AVOD. Mais quel serait son équivalent pour un Hulu français ? Le marché publicitaire américain représente environ 670 dollars par an et par habitant. Le même calcul pour la France donne 225 euros. Compte tenu du taux de change du dollar en euro, les 68 dollars du Hulu américain se réduiraient alors à 26 euros de recette publicitaire AVOD par abonné et par an pour le Hulu français. A condition qu’il dispose d’une régie aussi efficace que celle de son homologue américaine qui s’appuie elle sur le savoir-faire des networks (ABC et NBC notamment). Et à condition également que la tolérance pour la publicité à l’écran soit ici la même qu’aux Etats-Unis, ce qui est probablement douteux.

2 : Le nouveau modèle de la télévision commerciale à trois étages va dominer l’AVOD

Dans le monde entier le modèle économique de la télévision commerciale a été non pas révolutionné comme on le dit parfois mais s’est seulement complexifié. Désormais ce qu’on appelait naguère une « chaîne » propose ou va proposer trois niveaux de consommation : le linéaire classique, avec de la publicité, le replay en streaming gratuit, avec de la publicité, et un niveau payant avec moins ou pas de publicité. Cette dernière proposition est encore rare à la télévision en France mais elle se développera inéluctablement, comme en témoigne l’annonce, postérieure à la première rédaction de cet article du service myTF1Max. Les consommateurs connaissent d’ailleurs bien ce modèle sur leurs smartphones où d’innombrables applications proposent soit une version gratuite avec de la publicité, soit de payer un fixe ou un abonnement pour éviter les pubs. C’est aussi ce que proposent les sites jeuxvideo.com ou  Allociné :

Si la régie du site a bien fait son travail, on peut en déduire qu’un internaute rapporte en moyenne 17 euros par an en publicité (2€ ttc par 12, moins la TVA). On retombe ainsi sur une autre évaluation du potentiel de recettes AVOD, mais plus basse que les 26 euros estimés précédemment.

Encore faudrait-il, pour atteindre ces chiffres, s’appuyer sur la qualité et la puissance de la régie publicitaire. Celle d’Allociné, celle donc du groupe Webedia, dispose de plus de vingt ans d’expérience et d’un inventaire considérable. Un cran au-dessus, les services de replay des chaînes de télévision s’appuient sur des régies puissantes proposant aux annonceurs une large gamme d’espaces.

D’un point de vue froidement économique, un média commercial c’est une régie publicitaire avec des programmes autour et pas l’inverse. Les pure players venant du monde des programmes qui pensent que l’AVOD c’est simple, il suffit de mettre des programmes en ligne et on met une régie autour, prennent le problème à l’envers.

3 : Les pure player ne peuvent proposer qu’un RSA audiovisuel

En France les offres actuelles de Mango, Pluto ou Rakuten proposent bien quelques programmes que l’on peut qualifier, à la rigueur, de premium, mais la très grande majorité de l’offre est composée de séries ou de films soit inconnus soit très anciens. Et ça ne peut que durer.

Pluto.TV, l’offre d’AVOD du groupe CBC-Viacom (Paramount) est le plus riche des services proposés en France. Il propose un accès à un catalogue en VOD gratuite ou le streaming de plusieurs dizaines de chaînes linéaires (service dit FAST pour les amateurs de sigles inutiles, soir Free Add Supported Television), mais l’intitulé de certaines chaînes comme BBC Drama ou Wild Side ne doit pas faire illusion, car on y trouve surtout le fond de catalogue de ces éditeurs.

Sur Mango, à part Mr. Bean et Hélène et les Garçons, qui connait « Transylmania » ou « Mon chat, mon chien et les autres » ?

Sur Rakuten.Tv l’offre gratuite ne semble pas proposer de programmes français :

Il ne s’agit pas ici d’accabler ces opérateurs en pointant la faible qualité des programmes proposés, mais de comprendre le modèle économique dans lequel ils opèrent. Les espérances de recettes liées à un programme donné sont, en tout cas pour l’instant, tellement faibles, quelques centaines d’euros par an et parfois moins, que ces plateformes proposent aux catalogues une formule de partage de revenu (revenue sharing pour faire pro). En clair elles ne peuvent pas payer un prix fixe raisonnable et elles proposent donc des systèmes de rémunération variable indexée sur leur succès d’audience et/ou publicitaire. Mais cela fait des années que la plupart des catalogues refusent ce type de contrat. Pour Pluto.Tv le catalogue Paramount ou CBS est mis à contribution (non sans quelques résistances), mais pour les autres il n’y a que deux solutions : casser sa tire-lire pour avoir quand même quelques têtes de gondole non rentables mais nécessaires. Jusqu’à ce que les actionnaires y mettent un terme. Ou se rabattre sur les fonds et parfois les tréfonds de catalogue.

Les offres de replay avec ou sans publicité des groupes de télévision n’ont pas ce problème d’accès aux programmes frais ou premium., elles vont donc probablement dominer, voire écraser le marché.

Ces services risquent donc fort de rester l’équivalent audiovisuel de ces magasins de faillite, comme Interstocks, Action ou Maxplus qui ornent les périphéries des villes et proposent des prix discount sur des stocks d’invendus ou résultats de faillites. La présentation de l’AVOD comme le streaming pour ceux qui ne peuvent pas payer un abonnement, resterait alors une espèce de RSA audiovisuel.

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1 réflexion au sujet de « L’AVOD ou le RSA audiovisuel »

  1. Merci !
    “Un média commercial c’est une régie publicitaire avec des programmes autour et pas l’inverse.”
    Tout est dit. Et pourtant, cette “black-box” la chose la moins étudiée de l’économie des plates-formes (vidéo, audio, games, podcasts…). Un prochain papier pour l’éclairer ?
    Curieux, non ?

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