L’audiovisuel, combien de divisions ?

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Le site Diplomeo recense en France 450 formations aux métiers de l’audiovisuel et 288 au journalisme. C’est beaucoup trop, et on va voir que, même si chacune de ces formations n’accueillait que 10 étudiants, la moitié ne trouveraient surement pas de travail. La faute en revient sans doute à une récurrente et grossière surestimation de la taille du domaine.

Les deux chiffres que l’on retrouve le plus souvent sont de 210.000 ou de 340.000 emplois, ce qui fait déjà une belle différence. Ainsi sur le site de l’ONISEP, l’organisme officiel chargé d’informer les parents et les élèves pour leur orientation :
Le cinéma, la télévision et la radio sont les 3 piliers de l’audiovisuel. Ce secteur repose sur 9 800 entreprises environ et 210 000 salariés. (ONISEP)
Le site spécialisé dans les offres d’emploi, RégionsJOB va plus loin :
Le champ de l’audiovisuel est l’un des plus important de la culture avec 9 816 entreprises. En 2016, il enregistrait une hausse significative des emplois en CDI et CDDU et créait 1 500 emplois rien qu’en Ile-de-France, soit une hausse de 11 %, pour rassembler près de 207 700 salariés. Le site economie.gouv.fr parle même de 340 000 emplois en France, dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel. (RégionsJOb)


Et en effet, lors des vœux du CNC, sa présidente, Frédérique Bredin déclarait :
Car il n’est pas question que notre filière économique, la 1ère d’Europe, avec 1% du PIB, 340 000 emplois, se transforme, sans qu’on n’y prenne garde, en simple industrie de sous-traitance. Il n’est pas question pour nous de devenir de simples prestataires au service des géants du Net. (Discours des vœux du CNC en janvier 2019)

Ce flottement dans les définitions se retrouve même parfois au sein d’un même document. Ainsi dans le rapport « Portrait statistique de l’audiovisuel France » du CPNEF Audiovisuel :

  • Page 3, le secteur emploie 207625 salariés en 2016.
  • Mais page 39 le nombre de salariés du secteur n’est plus que de 195886, dont 39549 à la télédiffusion. Mais il y en a 138555 dans la production audiovisuelle.
  • Page 45 le nombre de salariés de la télédiffusion n’est plus que de 14396 (ce qui est peu, la vérité est plus proche de 23000 selon l’INSEE) mais, plus étonnant encore, seulement 3583 travaillent exclusivement pour la télé, ce qui fera sans doute plaisir aux 10.000 salariés de France Télévisions.
    Le document est cosigné par Audiens, l’organisme de sécurité sociale mutuelle dans les activités culturelles, qui pourtant dans un autre document produisait de tout autres chiffres. Par exemple 150284 personnes dans la production audiovisuelle en 2016 (et donc pas 138555).

  • Bref il y a comme un flottement dans les chiffres et il est utile d’y voir plus clair.

1 : L’emploi dans le domaine de l’audiovisuel

Le mot « emploi » mérite d’abord d’être précisé. Il peut vouloir dire « contrat de travail », mais dans ce cas une entreprise qui a recruté dix CDD d’un mois aura créé dix «emplois». Dans l’audiovisuel, où de nombreuses entreprises ont la possibilité de recourir à des contrats très flexibles (piges, intermittents du spectacles, CDD d’usage) cela donne une fausse idée du volume de travail disponible. Par exemple dans la production audiovisuelle, toujours selon Audiens, les 136000 personnes ayant signé un contrat de travail en 2016 correspondaient à seulement 36300 équivalents plein temps. En gros, chaque « contrat » portait en moyenne sur trois mois. C’est pourquoi pour évaluer le volume de travail d’une branche d’activité l’INSEE notamment et d’une manière générale les économistes préfèrent raisonner en ETP, équivalents plein temps.
Il faut ensuite s’entendre sur ce qu’on met sous le mot « audiovisuel ». Pour faire bon poids on peut y incorporer la radio, voire une partie de l’industrie musicale, les jeux vidéo et pourquoi pas les fournisseurs d’accès à Internet. Si on combine une conception très large de ce qu’est l’audiovisuel et une définition d’un « emploi » comme un simple contrat de travail quelque en soit la nature, on peut alors sans doute arriver à 340.000 « emplois ». Mais si on revient à notre problème de candidats au secteur, cette donnée est trompeuse si elle sert à dimensionner l’offre de formations.
Dans le cadre de la construction de notre modèle ESGA (Economie et Sociologie Générale de l’Audiovisuel) nous avons retenu la définition suivante pour le domaine :

  • La production audiovisuelle et cinématographique indépendante (branches 59.11 A,B,C et Z de la nomenclature » NAS de l’INSEE)
  • Les chaînes de télévision (généralistes, thématiques et locales). En toute rigueur une bonne partie de l’emploi des chaînes de télévision relève en fait de la production de programmes : journaux télévisés, retransmissions sportives, certains magazines ou émissions de plateau produites en interne. Mais nous avons préféré conserver les données telles que l’INSEE les présente.
  • La filière cinéma (distribution et exploitation)
  • La filière vidéo (édition, distribution et commerce de DVD et Blu Ray)
    Pour ce noyau dur du domaine des données de l’INSEE sont disponibles (avec parfois un retard de trois à quatre ans).
    A quoi il faut ajouter cinq autres sources d’emplois :
  • Les auteurs (ils sont toujours injustement oubliés des statistiques… et des formations)
  • Les journalistes pigistes pour la télévision
  • Les prestataires techniques des diffuseurs de TV (autres que pour la post-production) c’est-à-dire notamment les gestionnaires de « régie finale » (play out)
  • Les organismes de régulation, les syndicats professionnels et les sociétés d’étude spécialisées
  • La partie des intermédiaires de publicité travaillant pour la télévision ou le cinéma
    Pour ces cinq activités (plus de 20.000 équivalents temp plein toute de même au total) des données sont disponibles.
    Dans l’idéal il serait légitime de faire figurer également le travail gris (stagiaires) ou noir (piratage) ainsi que l’activité de sites dédiés sur Internet ou les médias sociaux. Mais il n’y a évidemment pas de données fiables sur l’emploi dans ces domaines.

  • Cela aboutit à un total estimé pour 2016 de 86800 équivalents temps plein que l’on peut décomposer ainsi :
ESGA: estimations pour 2016 de l’emploi dans l’audiovisuel

2 : Combien d’embauches et lesquelles?


Dans certains domaines, l’ordre de grandeur des créations ou renouvellements de postes est connu, comme pour les journalistes où la commission de la carte fournit une information très détaillée. On sait par exemple que 1682 nouvelles cartes de presse ont été acceptées en 2017, dont 368 seulement pour la télévision. D’autres professions fournissent parfois sur les tendances de l’emploi quelques indicateurs avancés, comme dans le cinéma ou la publicité.
Mais dans l’ensemble de l’économie, y compris l’audiovisuel, il y a un taux d’embauches nouvelles à peu près incompressible chaque année dû à un ensemble de facteurs dits “frictionnels” comme les départs en retraite, les démissions, ou les ruptures de contrats. Ce taux est de l’ordre de 3 à 5% et il s’applique à tous les niveaux, global, celui des branches, des sous-secteurs d’activités et même de la plupart des entreprises, même si certaines sociétés, certaines activités, peuvent connaître des taux de turn-over plus élevé. Cela signifie que l’audiovisuel, en régime de croisière, à activité constante, engendre « naturellement » chaque année au moins entre 2600 et 4400 recrutements en ETP. Mais à cela s’ajoutent les embauches dûes à la croissance de l’activité quand elle n’est pas compensée par des gains de productivité. Ainsi par exemple dans la production de cinéma, les 26 films supplémentaires produits entre 2013 et 2015 avaient entraîné la création de 900 équivalents plein-temps, soit probablement de l’ordre d’au moins 2000 contrats de travail supplémentaires.
Bien que, comme c’est normal, la plupart des sous-domaines de l’audiovisuel se plaignent chacun d’une mauvaise conjoncture, de la concurrence des GAFA, de la pingrerie de l’Etat et d’une réglementation qui les étouffe, le domaine est bel et bien en croissance, en tout cas globalement. Même les télévisions sont en légère croissance de leurs effectifs, et si France Télévisions entend supprimer 900 emplois nets d’ici à 2022, les chaînes thématiques et locales et les chaînes internationales continuent à recruter. Au total, toutes activités confondues, on peut estimer à 1% par an la croissance tendancielle nette de l’emploi dans l’audiovisuel. Soit environ 900 créations d’ETP par an qui vont s’ajouter aux 2600 à 4400 embauches dites « frictionnelles » évoquées plus haut.
Mais le problème pour les écoles et pour les futurs candidats au secteur est d’abord que ces quelques 4000 postes ne vont pas être tous pourvus par des débutants. Dans l’audiovisuel aussi il y a des demandeurs d’emploi qui constituent une « armée industrielle de réserve » selon la vieille expression. Ensuite derrière un chiffre global de postes à pourvoir, le domaine connait une recomposition industrielle avec des activités en pénurie d’emplois et d’autres en excédent.
Parmi ceux qui voient l’emploi diminuer ou stagner citons :

  • Toute la filière vidéo (édition, distribution, ventes de détail de DVD), même si dans ce cas l’essentiel des pertes d’emploi a déjà été constaté et qu’il ne reste plus grand-chose d’un secteur qui a pu compter près de 5000 ETP au début des années 2000.
  • Les journalistes en CDI après la dernière vague de recrutements dans les chaînes d’infos généralistes
  • Des spécialités de techniciens intermittents du spectacle dans le domaine de l’éclairage ou du montage à cause de gains de productivité dûs à la généralisation de nouvelles techniques (LEDs, développement de la polyvalence dans la post-production)
  • Les tâches d‘encadrement fonctionnel (RH, Finances, support informatique) dans les grandes chaînes généralistes.
  • Les commerciaux de la publicité télévisée, dans les agences comme dans les régies, menacés par les nouvelles techniques de vente programmatiques.


Au contraire des métiers connaissent un développement important et durable :

  • Les « data analystes » dans les régies, les agences et de plus en plus dans les chaînes de télévision elles-mêmes
  • Les graphistes pour l’audiovisuel
  • Les traducteurs, doubleurs et interprètes, à mesure que progresse l’internationalisation du domaine. Le développement des logiciels d’aide à la traduction fait peser une menace à terme sur ce segment, mais il y aura encore au moins cinq bonnes années.
  • D’une manière générale les postes dans le commerce international de programmes.
  • Les auteurs de fiction.
  • Pour quelque temps encore, les différentes compétences dites « multimédia », du développement web à la gestion des médias sociaux, même si les chaînes de télévision ont déjà beaucoup recruté dans les dernières années.
  • Les juristes, même si la plupart des créations d’emploi sont faites ici en-dehors de la filière dans les cabinets spécialisés.

3 : Conclusion


L’audiovisuel représente, grâce à la télé, un quart de l’activité éveillée des Français. C’est énorme, et c’est deux fois plus de temps que le travail. Mais ce géant sociologique reste un nain économique: environ 0,4% des équivalents temps plein de l’économie française ou 0,7% des emplois si l’on prend la définition la plus large. Le domaine tend à se présenter comme menacé, par le numérique, par les Américains, par les GAFA. Les télévisions sont en crise, la vidéo est morte, le cinéma est en déclin, la publicité va mal, etc, etc. Le secteur serait gros et en rétrécissement. En fait c’est l’inverse: le secteur est petit et en croissance, en tout cas en emplois. Mais il ne peut pas absorber les cohortes d’étudiants sortant des 45O formations à l’audiovisuel et des 288 au journalisme évoquées en introduction. Il doit y avoir de l’ordre de 2000 places à prendre pour des jeunes chaque année dans l’audiovisuel, à 90% en Ile de France. Ce n’est pas rien, mais ces places sont surtout des statisticiens, des traducteurs, des juristes, des auteurs et il n’est pas certain que l’appareil français de formation se concentre sur ces métiers. A côté des quelques pôles d’excellence (FEMIS, ESJ de Lille, Gobelins, Sciences Po, etc…) qui à juste titre se tournent de plus en plus vers le marché international, il est probable que l’ensemble des formations moyennes soit surdimensionné, beaucoup en raison de l’attrait du secteur pour des jeunes ayant des résultats scolaires moyens mais sans doute aussi en raison de chiffres excessifs sur la taille du marché.

Alain LE DIBERDER

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