L’adieu aux jeunes

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Un spectre hante la télévision, celui du vieillissement. Le mal ronge la valeur en bourse des chaînes privées et donne aux politiques des envies de réformes de l’audiovisuel public. L’incendie prend de l’ampleur. Quelles sont les chances des pompiers de le maîtriser?

1 : Ce n’est pas de la faute de France Télévisions, ni de la BBC, c’est mondial

Le phénomène s’observe en effet partout dans le monde dès 2012. Plusieurs études récentes fournissent une abondance de preuves, sauf étrangement en France car sur ce sujet Médiamétrie et ses clients semblent d’une extrême pudeur. Petit survol des flammes en Europe, aux Etats-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni.

. En Europe  en général:

La durée d’écoute quotidienne de la télévision pour les 15-24 ans baisse dans tous les pays membres de l’UER, c’est-à-dire l’Europe au sens très large du terme (oui, l’UER, c’est l’Europe de l’empire romain dans sa plus grande extension, plus l’empire des Tsars plus une bonne partie de l’empire Ottoman). Cette moyenne cache donc son lot de disparités selon les pays, mais traduit une décroissance qui sévit du cercle polaire aux confins du Sahara.

Source UER.

Pour les chaînes de service public (il y a aussi des privées dans l’UER) le constat n’est pas plus réjouissant : leur audience cumulée sur une semaine (la proportion de jeunes qui les ont regardées au moins une fois en une semaine) est passée de 47,4% en 2013 à 37,6% en 2018. Chaque semaine donc près des deux tiers des jeunes Européens n’ont PAS regardé une chaîne publique.

. Aux Etats-Unis :

Le phénomène a démarré même un peu plus tôt, vers 2010. En 2016 l’audience des chaînes de télévision avait déjà perdu 40% pour les moins de 25 ans par rapport à 2010, et 30% pour les 24-35 ans. En 2019, les moins de 34 ans (44% de la population) ne représentaient plus que 21% de l’audience de la télé. La part de marché moyenne de chacun des quatre « grands » networks, Fox, ABC, CBS et NBC, n’est plus que d’un ridicule 3,6% auprès des jeunes Américains.

. En Allemagne :

L’Allemagne mérite un traitement à part d’abord en raison de la qualité des données pertinentes qui y sont publiées, incluant notamment YouTube, et d’autre part en raison d’un débat public relativement animé sur cette question.

En septembre, la revue spécialisée de l’audiovisuel public, Mediaperspektiven, a publié une étude très éloquente,  montrant comment se répartissait le temps passé à regarder des vidéos (télévision, svod, YouTube, etc) d’abord pour toute la population et avec un zoom sur les moins de trente ans. Ici ce qui est intéressant ce n’est plus tant le volume d’écoute (qui, ici aussi, décroit très vite), mais sa répartition par type de sources, et là on s’approche du nœud du problème.

Voici ce que ça donne pour l’ensemble de la population ;

La télévision gratuite en direct, bref la bonne vieille télé, représente encore plus des trois quarts de l’audience. Bravo, même si on doit se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps c’était 95%. Pour l’ensemble de la population les sources « non-TV » c’est-à-dire YouTube, Netflix et Amazon, ne pèsent « que » 16% du total.

Maintenant que se passe-t-il pour les moins de trente ans ?

La structure est totalement différente ! La bonne vieille télé ne pèse plus qu’un tiers du total, elle est même dépassée par la svod (Netflix+Amazon en Allemagne). Pire peut-être encore, l’ajout de l’écoute en différé, le replay, ne suffit plus pour qu’elle conserve la majorité. Précisons que dans ces chiffres l’audience sur YouTube des programmes des chaînes de télévision a été rebasculée dans leur replay. La tranche en jaune sur le graphique (18% du total) est donc constituée de programmes spécifiques à YouTube. Dis autrement, pour les Allemands de moins de trente ans la majorité de l’audience va à des programmes qui ne sont pas passés par “la télé”.

Mais en Allemagne ce n’est pas l’étude de Mediaperspektiven qui a fait le plus de bruit mais une autre intitulée “Quo Vadis, German Media – The Future of German Television Providers in Digital Streaming Times” réalisée par le cabinet Roland Berger et l’Université de Münster. Reprise par un certain nombre d’adversaires de la télévision publique, l’étude a été résumée par la phrase « L’ARD et la ZDF vont mourir ». L’étude affirmait notamment que Netflix à elle seule avait une part d’audience de 10,1% pour l’ensemble du public, supérieure à celle de RTL (10%), de la ZDF (9,8), de l’ARD (8,8) suivie par Amazon (8,7).

Les responsables du service public ont vivement contesté l’étude de Roland Berger et sa méthodologie, mais n‘ont pu que renvoyer au travail décrit plus haut publié par Mediaperspektiven. C’est-à-dire à peine plus rassurant.

. En Grande-Bretagne :

Ici c’est pire. Bien pire pour la BBC. En octobre, la secrétaire d’Etat à la culture, Nicky Morgan, a avoué être ouverte à la perspective de supprimer la redevance pour la BBC et la remplacer par un abonnement, facultatif, comme pour Netflix. Son ministère a ensuite rétropédalé, confirmant que la redevance serait maintenue au moins jusqu’en 2027. Mais l’idée est soutenue par la droite du Parti Conservateur, traditionnel ennemi juré de la BBC, dont la perception de la redevance a baissé en 2018 pour la première fois depuis bien longtemps, signe que sa légitimité vacille. « La BBC est en train de perdre toute une génération » a conclu l’OFCOM (le CSA britannique) en rendant son second rapport sur la BBC. Et de publier le graphique suivant, certes peu lisible :

La seconde partie du graphique est la plus intéressante, elle montre l’évolution du « reach », l’audience en cumulé hebdomadaire, par tranches d’âge. On voit à partir de 2012 la diminution régulière de cette audience, que rien ne semble pouvoir arrêter, et même pour les 55-64 ans à partir de 2017. Pour les 16-24 ans le « reach » est passé de 72% en 2011 à 48% en 2018. Ce qui est tout de même nettement mieux que la moyenne européenne des chaînes publiques : 38%.

On voit donc que même la BBC, l’incontestable meilleur élève de la classe des chaînes de télé, n’a pas pu enrayer le départ des jeunes. Et si même la BBC n’y arrive pas…

2 : Les jeunes peuvent-ils revenir ?

Hélas non, nous sommes devant un phénomène massif, mondial et amorcé depuis plus de sept ans. Pas une mode passagère que des situations particulières à tel ou tel pays expliqueraient. A défaut de bien connaitre les multiples voies individuelles qui conduisent à abandonner la télé, on en connait le contexte. A domicile la multiplication des écrans, la généralisation du haut débit a rencontré et permis une multitude d’offres allant de YouTube aux vidéos sur Facebook en passant par les services de vod puis de svod. Mais c’est surtout le smartphone et la 4G, rendant la vidéo en streaming disponible partout, en déplacement, à l’école, dans toutes les pièces du domicile, même les moins propices à l’audiovisuel, qui a changé la donne. Ce changement de contexte est irréversible et il n’a pas fini de produire ses effets. Si la baisse d’audience des jeunes finira bien par atteindre un point bas il est peu probable qu’il soit déjà atteint.

Les sociologue Bernard Préel a développé dans les années 90 une analyse des effets de génération, en particulier en matière de pratiques culturelles et médiatiques exposée dans plusieurs livres et appliquée pour le Ministère de la Culture pour la presse écrite. Le graphique suivant montre l’évolution du taux de lecture de la presse quotidienne pour plusieurs générations.

Ces graphiques exploitent plusieurs enquêtes « pratiques culturelles des Français » menées depuis 1973 au sein desquelles la question de la fréquence de lecture d’un quotidien était posée pour différentes tranches d’âge. Préel montre par exemple que la génération qui a eu 20 ans au moment de la guerre d’Algérie a maintenu son taux de lecture tout au long de la période étudiée (courbe violette), mais que ce taux était déjà moins élevé que celui de la génération précédente arrivée à l’âge adulte à la Libération. Les générations ultérieures ont des taux de lecture de plus en plus faibles, et chaque génération maintient à peu près sa pratique tout le long de sa vie, mais comme le point de départ est de plus en plus bas, l’effet global est inéluctable, et malheureusement prévisible. L’étude était réalisée en 1997 et, hélas pour les quotidiens, les vingt années qui ont suivi ont montré la pertinence du constat de Préel : les pratiques médiatiques qu’on n’a PAS à 18 ans, on ne les aura en général jamais par la suite. La même chose est-elle en train d’arriver à la télévision ? Les données fournies par l’OFCOM pour la BBC donnent un indice : il y a bien un « effet domino », les différentes catégories d’âge suivent la même tendance les unes après les autres avec un décalage de cinq ans environ d’une tranche d’âge à l’autre.

3 : Les conséquences du départ des jeunes

Elles ne sont pas les mêmes suivant les trois types de chaînes de télévision, payantes, commerciales privées ou publiques financées par une ressource publique.

Les chaînes à péage sont a priori les plus à l’abri dans la mesure où elles sont relativement indifférentes à l’audience. Pour elles le changement de paysage c’est l’irruption des plateformes de svod, donc l’intensification de la concurrence, mais pas l’évolution de la sociologie de l’audience. Toutefois, pour les chaines payantes généralistes comme Canal+ ou Sky, la décision de s’abonner étant généralement une décision familiale, les enfants et même les grands enfants sont souvent des prescripteurs impérieux. Et si on demande à un ado de choisir entre Netflix et Canal+… Mais la fuite des jeunes n’est pas une préoccupation majeure de ce type de chaînes.

En revanche, pour les chaînes commerciales privées, le problème est grave. A force de ne vendre aux annonceurs que les Femmes Responsables d’Achats de moins de 50 ans (FRDA-50) et de considérer comme menu monnaie les plus de 50 ans (40% de la population), la cigale risque de se trouver fort dépourvue quand la bise du départ des jeunes sera venue. Les régies klaxonnent des parts d’audience qui masquent le problème : le jour où il n’y aura plus que dix jeunes à vendre, TF1 et M6 en auront 5 chacune et clameront réaliser une PDA de 50%. Evidemment ça ne prendra pas au-delà de la presse professionnelle, mais l’honneur sera sauf. Mais la baisse continue du public de moins de 34 ans est une des vraies causes de la dégringolade de la valeur boursière des chaînes de télévision partout en Europe. Pour les grands investisseurs institutionnels, la télévision n’est plus une valeur de long terme (long terme ici voulant dire 5 ans), car selon le jargon des boursiers la baisse future de l’audience « jeune » est déjà incorporée dans les cours : depuis un an -35% pour Pro7Sat1 en Allemagne, -30% pour RTL Group, -18% pour ITV en Grande-Bretagne, -19% pour TF1 et -7% pour M6 en France, -25% en Espagne pour A3media.

La situation des chaînes publiques est différente. Le problème ne se pose pas vraiment à court terme, encore que ça commence à chauffer sérieusement au Royaume-Uni, en Suisse ou en Allemagne. Mais comme les chaînes publiques ont une audience disons poliment assez peu « jeune » (60 ans de moyenne pour France 2, 62 ans pour France 3, 63 pour France 5 et Arte), la fuite des jeunes fait moins mal, elle a déjà eu lieu il y a longtemps et elle possède même son petit effet mécanique favorable sur les parts d’audience puisque ce sont surtout les concurrentes privées qui perdent. Et, après tout, la bonne tenue de leur audience auprès de la moitié de la population la plus âgée devrait être un argument fort pour les défendre : elles remplissent une vraie mission de service public pour des tranches d’âge (ou des catégories sociales) dont on ne sache pas qu’elles fassent l’objet de la sollicitude des GAFA et autres licornes numériques. Ni d’ailleurs des groupes de médias privés. Mais à terme, si la loi de Préel s’applique, la question de leur légitimité finira forcément par se poser. C’est déjà le cas au Royaume-Uni, en tout cas pour les milieux qui ont de toute façon toujours été des ennemis du service public, mais qui trouvent là un argument autrement plus solide que les habituelles jérémiades sur le côté élitiste, cosmopolite, intellectuel des programmes de la BBC. Peut-on continuer à faire financer par tous quelque chose qui n’est plus consommé que par certains ? A noter que les mêmes milieux anti-télé publique proposent rarement d’appliquer ce raisonnement à l’opéra, aux musées ou aux théâtres publics.

Capter le public « jeune », est une très ancienne gageure pour les chaines de télévision, bien avant l’apparition du numérique, et qui provient de l’extrême hétérogénéité du public dit « jeune ». On peut considérer, à tort au fond mais avec des raisons pratiques, que le public des actifs, disons les 30-60 ans est relativement homogène en tout cas dans son budget-temps. De même les programmateurs mettent-ils allégrement dans le même sac les seniors de plus de 60 ans. Mais les jeunes ne se laissent pas aussi facilement prendre à la taille unique. Les scolaires, en tout cas jusqu’au collège, ont des rythmes particuliers, de longues vacances, des parents qui conservent un empire sur leur emploi du temps. Mais on ne fait pas regarder à un(e) 13 ans un programme prévu pour les 8-10 ans. La longue adolescence qui peut commencer à 12 ans et se terminer à 28 est marquée par des changements de vie radicaux : études ou pas, travail ou pas, couple ou pas, etc. Et à chaque changement correspondent des attitudes différentes face aux médias, et tout cela constitue un casse-tête pour les programmateurs.

Ce problème est donc ancien, il n’a rien à voir avec le numérique, et les chaînes de télévision ont tant bien que mal réussi à vivre avec pendant longtemps Mais c’était possible tant que l’audience jeune était en pratique un satellite de l’audience adulte. Les trois quarts du temps les jeunes regardaient ce que regardaient leurs parents, avec des inflexions certes quand ils le pouvaient mais de toutes façons limitées par une offre réduite. A partir du moment où la cage de l’écran unique avec peu de chaînes s’est ouverte avec la multiplication des écrans individuels et des offres, les oiseaux se sont envolés et ils ne rentreront pas dans la cage même si on y sème des graines.

4 : Alors que faire ?

Les groupes de télévision ne restent pas les bras croisés devant un phénomène qu’ils ont bien sûr été les premiers à discerner. Trois types de réponses sont possibles : agir sur les programmes, multiplier les chaînes et enfin, se dissoudre :

  • Plus de programmes « jeunes »

La baisse de l’audience des jeunes n’est pas pour autant leur disparition pure et simple. La télévision, au début de la décennie, bénéficiait d’une audience si considérable que même quand elle diminue de moitié (on n’en est pas encore tout-à-fait là pour les moins de 34 ans) elle reste un média majeur et même souvent le principal média même chez les jeunes. On peut d’abord regarder ce qui les retient encore devant les chaînes de télévision. Trois types de programmes émergent de la décroissance générale : les sports, les séries et certains types d’émission de flux, généralement désignées par les adultes comme étant de la « trash TV », terme qui a remplacé l’ancienne dénomination de télé-poubelle. Le problème pour les chaînes de télévision en clair c’est qu’aucun de ces trois genres ne constitue, actuellement, une bouée de sauvetage très rassurante. Les retransmissions sportives dont les droits restent à des valeurs compatibles avec le business model des chaînes en clair sont de plus en plus rares : en France le football féminin, le handball par exemple. Certaines chaines peuvent faire des coups dans ce domaine, mais pas y bâtir une stratégie durable, car quand ça marchera les offres payantes rafleront la mise. Les séries offrent de meilleures perspectives, car dans un environnement où les offres payantes se multiplient, la gratuité, qui allait de soi dans l’ancien monde audiovisuel mais plus dans le nouveau, devient un argument. Le problème ici vient d’une norme de fait pour la consommation de séries chez les moins de 34 ans, à savoir la possibilité du « binge watching » et donc la disponibilité en ligne de tous les épisodes. Soit le cauchemar des régies publicitaires. Les séries permettent donc de lutter contre le vieillissement de l’audience, mais surtout pour les chaînes publiques, en tout cas celles qui sont indifférentes à la publicité. Reste enfin la trash TV, avec là aussi deux limites : il y aura toujours mieux sur YouTube d’une part et cela fait fuir plus sûrement le reste du public que cela n’attire de fans. Plus les télévisions proposent des émissions « à la YouTube » et plus elles font en fait la promotion de YouTube. Et peut-être même aussi auprès des plus vieux. Plus que des émissions conçues spécialement pour les jeunes (lesquels ?) les chaînes ont tout à gagner à travailler sur des émissions s’adressant à tout le monde, y compris les jeunes, car le seul moyen de les faire revenir reste le succès global et non pas le succès ciblé.

Pourtant, à défaut de gagner la guerre, les chaînes peuvent parfois gagner des batailles. On doit par exemple saluer en France le cas de France 4 qui, entre 2014 et 2018, a maintenu sa part d’audience (1,6%) tout en rajeunissant l’âge moyen de son audience de trois ans et demi (37 ans et demi en 2018, ce qui est très jeune pour une chaîne mais plutôt vieux pour une chaîne jeune). Raison de plus pour espérer que les pouvoirs publics renonceront à la décision, inexplicable pour être poli, de la fermer.

  • La multiplication des chaînes

C’est la solution développée dans la plupart des pays, notamment en France depuis le lancement de la TNT en 2005, en Italie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Les groupes de télé proposent un « bouquet » de chaînes dont une ou deux cherchent à avoir un public plus jeune que la chaîne principale. Ainsi TMC et TFX par exemple ont un public qui a en moyenne huit ans de moins que celui de TF1. W9 et surtout 6ter sont plus jeunes que M6. Même chose en Allemagne avec ZDFneo ou RTL2 ou en Italie avec RAI Gulp (qui n’a cependant qu’une part d’audience de 0,5%). On voit bien cependant que cette politique, si elle enrichit l’argumentaire des régies publicitaires, n’a pas enrayé globalement la fuite des jeunes téléspectateurs. Cela aurait été peut-être pire sans ces chaînes jeunes, mais ce n’est même pas sûr. La multiplication d’offres linéaires pour un public qui ne veut plus que du non-linéaire n’aboutit pas à grand-chose.

  • Le changement de forme de l’offre

Une « chaîne » de télévision, c’est une manière d’agencer une offre de programmes, c’est un contenant, une mise en forme. Pendant un demi-siècle cette forme est restée la seule techniquement praticable, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les télévisions cherchent donc à se « réinventer » en essayant d’autres formes. La télévision à la demande, payante (svod) ou non (replay) en est une. C’est pourquoi RTL avec RTL Now, la BBC avec iPlayer puis Britbox avec ITV, ou TF1, M6 et France télévisions avec Salto se lancent dans une aventure à la fois risquée et nécessaire. Il est trop tôt pour évaluer la portée de cette réponse, mais les résultats d’Iplayer en Grande-Bretagne sont plutôt encourageants avec cette année une forte croissance de son usage par les moins de 34 ans (+20% en 2019).

L’initiative la plus osée reste celle des télévisions publiques allemandes qui ont lancé Funk.net en 2016. Ce projet, doté dès le départ de 45 millions d’euros, consiste à fédérer, parfois à produire, parfois à labelliser des vidéos spécifiquement destinées à être vues sur YouTube, Facebook, Snapchat ou Instagram. Dans ce cas la télévision publique devient invisible comme contenant, mais pas comme signature. Le public visé est celui des jeunes adultes de 14 à 29 ans. Lancée il y a trois ans, la plateforme Funk atteint en septembre 2019 73% des 15 millions d’Allemands visés, et distribue environ 120 millions de vidéo vues par mois sur YouTube, à quoi s’ajoutent les audiences sur Facebook, Snapchat et Instagram. Ce qui est bon signe c’est qu’elle commence à faire des émules, en Finlande, en Suisse Romande et obtient de nombreux prix (Grimme Preis par exemple, les Césars allemands). Autre bon signe, pour une offre destinée aux jeunes, elle est parfois fortement contestée par les conservateurs (de droite ou de gauche), à l’intérieur et à l’extérieur de l’audiovisuel allemand.

La ruée vers YouTube et les réseaux sociaux n’est cependant pas une option praticable pour les chaînes commerciales généralistes, puisque cela reviendrait à abandonner à Google la majorité de leurs recettes publicitaires. En revanche, pour les télévisions publiques, c’est surement une option d’avenir (voir le développement de cette idée dans un autre article sur ce site). Surtout si Elizabeth Warren aux Etats-Unis et une Europe enfin consciente de ses missions, obtiennent un démantèlement de Google et le contrôle de son algorithme de recommandation par un organisme tiers.

En conclusion :

La cage aux jeunes qu’était la télévision des chaînes s’est ouverte et ils n’y retourneront pas. L’audience de la télévision classique auprès des moins de 34 ans ne tombera sûrement pas à zéro, mais sûrement à un niveau mettant en péril l’économie des chaînes commerciales généralistes. Pour les télévisions publiques, le problème est surtout à moyen terme. A court terme elles sont mieux placées que leurs consœurs privées pour trouver un répit en exploitant les avantages du numérique. Les gouvernements européens actuels, dont le niveau de culture audiovisuelle semble nettement plus faible que celui de leurs prédécesseurs, au lieu de taper sur « leur » audiovisuel public, devraient prendre conscience que le phénomène est mondial. Ni Delphine Ernotte, ni les équipes de la BBC ni les stations ARD ne sont responsables de l’essor des smartphones, de YouTube ou de Netflix. Le maintien des chaînes de télévision linéaire conserve cependant un sens pour la moitié la plus âgée de la population qui après tout n’a pas à être punie et poussée de force dans la télévision à la demande. Mais si les chaînes commerciales cessent de ne vendre que de la « FRDA-50 », et si les politiques acceptent de considérer qu’un service public qui touche la moitié de la population c’est déjà beaucoup, alors il y aura encore une longue cohabitation entre les formes archaïques et modernes de la télévision. Cette bonne vieille télévision.

Alain LE DIBERDER

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4 réflexions au sujet de “L’adieu aux jeunes”

  1. “On doit par exemple saluer en France le cas de France 4 qui, entre 2014 et 2018, a maintenu sa part d’audience (1,6%) tout en rajeunissant l’âge moyen de son audience de trois ans et demi (37 ans et demi en 2018, ce qui est très jeune pour une chaîne mais plutôt vieux pour une chaîne jeune). Raison de plus pour espérer que les pouvoirs publics renonceront à la décision, inexplicable pour être poli, de la fermer. ”
    Y a-t-il des signes dans ce sens (je précise que je ne suis pas un professionnel du secteur) ? Franck Riester a pourtant confirmé la suppression de la chaîne “courant 2020” dans ses dernières déclarations…

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    • J’ai entendu en effet le ministre confirmer cette décision. Attendons le débat parlementaire, de l’eau (de bon sens) peut encore couler sous les ponts. Juste un rappel des arguments CONTRE la suppression de France 4 de la TNT: 1) ça ne rajeunira pas l’audience globale de France Télévisions , au contraire. La BBC en a fait l’expérience avec la disparition du signal linéaire de la BBC3. L’argument selon lequel, en échange, les programmes de France 4 seront en ligne est une tartufferie: ils y sont déjà (replay de FranceTV et les films n’y seront pas 2) cela rendra plus difficile le financement des programmes d’animation, or c’est un des domaines dans lequel la production française s’exporte. 3) France 4 est la chaîne du groupe FTV qui diffuse le plus de films de cinéma (et même le mercredi), et FTV avait pris des engagements envers le cinéma à ce sujet 4) personne, ni à l’intérieur de France Télé, ni parmi les acteurs du domaine ne l’a demandé. On est donc devant une décision au mieux technocratique, au pire imbécile.

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      • Je suis bien d’accord avec vous (j’ajouterais que je trouve ça au mieux surprenant qu’on dépouille le service public quand on laisse tf1 et m6 acquérir de multiples chaînes sur la tnt) mais pour l’instant l’exécutif n’a laissé entrevoir aucun retour en arrière sur ce dossier (comme dans beaucoup d’autres).

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