La nouvelle économie de la svod

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Cette expression peut paraître prématurée, après tout la svod n’a que 14 ans d’existence si l’on date sa naissance de l’ouverture du service de Netflix aux Etats-Unis en 2008. Pourtant cette adolescente entre déjà dans une crise de croissance et une mutation profonde vers l’âge adulte. On assiste au passage d’un modèle que l’on pourrait qualifier d’agriculture extensive à un modèle intensif. Cinq tendances sont à l’œuvre : la fin de la croissance des abonnés dans les marchés des pays riches, la décantation des modèles économiques des grands acteurs improprement regroupés sous le terme vague de « plateformes », les conséquences des changements du contexte macro-économique et surtout financier, la réduction rapide de la taille des investissements, enfin la révision du modèle de développement des programmes.

1 : les débuts d’une saturation du marché dans les pays riches

Aux Etats-Unis le marché continue à croître, quoique de manière ralentie, mais la plupart des analystes considéraient, avant même que des perspectives de récession ne s’affirment, que le nombre des abonnés atteindrait un plafond en 2023 ou 2024. DigitalTV Research par exemple prévoyait une diminution des abonnés à Netflix de 2024 à 2027. Il est vrai que le pourcentage des foyers américains abonnés à un service au moins est de l’ordre de 80%, mais il était déjà de 79% à la fin 2019.  La situation britannique est plus sombre, puisque le nombre d’abonnements comme celui des abonnés à au moins un service diminue depuis l’été 2021. Le contexte économique britannique actuel ne devrait pas infléchir une tendance qui s’est amorcée donc nettement avant le retournement de conjoncture de 2022. La France n’est pas aussi avancée que le Royaume-Uni dans l’adoption de la svod, pourtant des signes de ralentissement apparaissent : selon les données du CNC le chiffre d‘affaires de la svod avait crû de 40% en 2020, année des confinements, puis de 24% en 2021 et seulement de 16% au premier semestre de 2022. Mais si ce dernier chiffre reste important il n’incorpore plus seulement l’augmentation du nombre d’abonnés mais aussi d’importantes hausses de prix unitaires.

A moyen terme deux potentiels de croissance demeurent cependant : les pays dits du Sud et l’augmentation du nombre d’abonnements par foyer. Cependant, au moins à court terme, la forte augmentation des prix dans un contexte de pouvoir d’achat en diminution n’incite pas à l’optimisme pour ce dernier facteur.

Depuis une dizaine d’année l’idée que le marché allait croître longtemps nourrissait l’illusion qu’il y aurait de la place pour tout le monde. Mais l’entrée progressive dans une ère de jeu à somme nulle dans lequel ce que les uns gagnent risque d’être principalement perdu par les autres oblige à changer à la fois de stratégie de promotion et de redimensionner les investissements, surtout pour ceux qui comme Warner, Comcast ou Paramount sont rentrés les derniers.

2 : Le grand écart des modèles économiques devrait conduire à une réglementation modifiée

Quand la svod était une « nouvelle technologie », le terme de « plateforme » s’est imposé pour regrouper ces nouveaux services de streaming proposant un abonnement. Svod, Vada, Smad, streamers, les désignations ont flotté mais les réglementations européennes puis françaises ont considéré que les ressemblances techniques et commerciales entre les différents services étaient suffisantes pour qu’on rédige des textes s’appliquant (à peu près) indifféremment à tous ces acteurs. Mais c’est probablement une erreur pour l’avenir comme l’explique aujourd’hui Amanda Lotz, sans doute la meilleure spécialiste de cette question, dans son dernier ouvrage (Netflix and streaming vidéo : the business of subscriber-funded vidéo  ed Polity Press 2022). Elle insiste pour que l’on considère séparément au moins quatre types d’acteurs ayant des modèles économiques différents, des stratégies différentes et des rapports distincts avec l’industrie des programmes.

A : Les studios américains d’Hollywood et les groupes auxquels ils appartiennent désormais constituent le premier groupe: Disney, Warner, Universal, Paramount, auxquels on peut ajouter la mini-major Lionsgate. Ces sociétés, avant l’essor de la svod, vivaient de la distribution de films sur tous les supports, dont d’abord la salle de cinéma, et de la vente de droits de diffusion de séries et d’émission de télévision à des tiers. Toutes, à défaut d’être réellement mondiales, sauf Disney, reposaient sur des marchés internationaux. En décidant de lancer leur propre service de streaming par abonnement elles ont changé profondément de métier. Elles doivent réserver l’exclusivité de leurs meilleures productions à leur propre service et donc abandonner leurs meilleurs clients traditionnels. Cela ne se passe pas sans problèmes. Le premier d’entre eux est un pari financier risqué consistant à perdre tout de suite des ventes dans l’espoir de recettes plus grandes plus tard. Ainsi Disney en 2021 a consenti un « manque à gagner » de plus d’un milliard de dollars pour une activité qui a perdu 4 milliards de dollars dans le même exercice. Un second problème porte sur l’exposition des œuvres, leur notoriété. Dans l’ancien système la promotion des films et des séries reposait sur une succession d’exploitations dont certaines gratuites, en tout cas ouvertes à tous, ce qui s’accompagnait d’une promotion gratuite sur une large échelle. Ce n’est plus le cas quand le film est enfermé dans un service qui est le seul à le promouvoir. Or, si la valeur immédiate d’un programme dépend essentiellement, outre de sa qualité, des efforts de marketing de son distributeur, sa valeur de moyen terme dépend surtout de la notoriété que le titre a pu accumuler, de sa capacité à capter, plus tard, l’attention.

Tous ces acteurs sont lourdement déficitaires et ont un rapport désormais complexe à la salle de cinéma. D’un coté leur intérêt à long terme serait de lui tourner le dos, comme elles l’ont déjà fait pour certains de leurs films, mais à court terme elles ne peuvent pas se permettre de tuer la poule aux œufs d’or. D’où leur grande nervosité à l’égard de la chronologie des médias.

B : Netflix est une catégorie à elle seule. Cette entreprise n’a jamais reposé sur la salle ni sur la vidéo, ni sur les ventes aux télévisions. Elle ne fait, apparemment, aucun sacrifice en conservant ses propres programmes au sein du container hermétique de son service. Elle a d’abord prospéré en commercialisant les programmes des autres, puis très vite réalisé (dès 2011 et les renouvellements difficiles de ses contrats Starz et Epix) que cela n’aurait qu’un temps et a entrepris de devenir elle-même un « Nouvel Hollywood 2.0», mais un Hollywood intégralement numérique. Netflix présente par ailleurs trois autres  originalités qui la distinguent radicalement de la catégorie précédente. La première est d’être rentable, et depuis plusieurs années, avec une marge opérationnelle de l’ordre de 20%. La seconde est d’être non seulement mondiale, comme Amazon et Disney, mais d’être désormais capable de produire des contenus locaux à succès dans une dizaine de pays. La troisième originalité est d’être mono-produit, sans avoir à se préoccuper des effets de bord que son activité de svod peut avoir sur le reste.

Enfin Netflix est très peu sensible à l’évolution du cours son action, elle qui a connu dans son histoire pas moins de huit grandes crises boursières et qui avait choisi de financer l’essentiel de son essor par la dette, à une époque où les taux étaient bas. A la différence du vieil Hollywood, Netflix est presque indifférente aux questions de chronologie des médias.

C : La troisième catégorie est celle des entreprises dites de « technologies » comme Amazon ou Apple. Leurs motivations, leur stratégie, leur modèle économique, sont complétement différents de ceux des catégories précédentes. Amazon et Apple ont l’ambition de bâtir chez les particuliers un « écosystème » cohérent, et le plus possible hermétique. Amazon propose, à côté des livraisons rapides, des livres sur Kindle, des systèmes de surveillance vidéo, de la domotique autour d’Alexa, des tablettes, de la musique… et de la vidéo. L’abonnement à Prime donne accès à la plupart de ces services et pas spécifiquement à l’un deux. Apple de son côté, avant même Amazon, a pensé l’ensemble de ses biens et services comme les briques d’un tout, dont on dit qu’il devrait un jour aller jusqu’à la voiture. Le fait de produire des films et des séries a été une décision opportuniste pour les deux, jamais un axe stratégique important. Mais comme chacune de ces deux firmes pèse à elle seule plus lourd en bourse que la totalité du reste de l’audiovisuel, un petit mouvement pour elles peut sembler déclencher un tsunami dans le reste du secteur. Aucune des deux n’a aujourd’hui le moindre intérêt dans les salles de cinéma, même si Amazon a acquis à grand frais ce qui reste de MGM et qu’on lui prête parfois l’intention de racheter un réseau de salles américain.

D : La dernière catégorie regroupe tous les autres services. Cela fait du monde (plus d’un millier de services), mais ce monde ne pèse pas plus de 10% du marché mondial de la svod, si l’on considère que Hulu fait partie de Disney. Dans cet ensemble, forcément hétéroclite, au moins un point commun : ils ne produisent pratiquement pas de programmes exclusifs. On trouvera ici des services thématiques, pour la jeunesse ou les sports, la plupart du temps locaux, des services visant des niches cinéphiles comme le patrimoine, les films de genre, les films asiatiques, mais aussi deux sous-catégories qui méritent un traitement à part :

  • Sur le modèle de Hulu aux Etats-Unis la plupart des groupes de télévision commerciales développent désormais un modèle à trois étages appelé à devenir un standard : un étage linéaire avec de la publicité (c’est l’ancien modèle classique de la télé), un étage de replay gratuit avec de la publicité, et enfin un étage payant à la demande avec peu ou pas du tout de publicité, plus ou moins étoffé de programmes propres ou d’exclusivités temporaires. En France TF1 et M6 s’y sont déjà engagés, et en Europe la plupart des grandes chaines de télévision exploitent un service de ce type comme Sky, la BBC et ITV en Grande-Bretagne, RTL et Pro7Sat1 en Allemagne. Ce modèle de svod dérivé de la télévision est pérenne car son économie propre, même peu florissante pour l’instant, s’intègre dans la dynamique d’ensemble d’évolution des groupes de télévision. Pour les chaînes commerciales au moins, la télé des années 2020 et 2030 comportera nécessairement un étage payant. Ces services sont toujours nationaux, sans développement international significatif, à l’exception du scandinave Viaplay.
  • On peut être plus circonspect pour l’avenir des services portés par des opérateurs de télécommunications. En France Orange et SFR, après de très coûteux épisodes dans le sport comme dans le cinéma, en sont revenu (même si OCS reste pour quelque temps encore sur les bras d’Orange). Mais Telecom Italia en Italie, Telefonica en Espagne ou Deutsche Telekom en Allemagne, entre autres, exploitent des services avec un certain succès, en tout cas en nombre d’abonnés. Cependant, à la différence des télévisions, ces groupes ne peuvent pas espérer de synergie avec leur économie principale et sont régulièrement confrontés à des problèmes de conflit d’intérêt dans la mesure où ils sont également distributeurs des concurrents de leur propre service. Il s’agit là aussi de services purement nationaux.

On le voit, de nombreux arguments militent pour que ces quatre catégories soient clairement distinguées. Au lieu de quoi, sous le terme unique de « service de média audiovisuel à la demande » la directive SMA et ses décrets d’application français leurs appliquent les mêmes contraintes ou leur donnent les mêmes avantages. On dira que la réglementation ne peut pas rentrer dans trop de détails pour des textes qui ont tous été particulièrement difficiles à élaborer. Mais observons que pour la télévision la loi et les règlements ont été capables de distinguer soigneusement les chaines privées des publiques, les locales des nationales et des étrangères, celles de la TNT et celles dites cabsat, les payantes et les gratuites, et il y a même la catégorie des « chaines de cinéma » qui ne regroupe en pratique qu’un seul acteur. Au total plus d’une quinzaine de catégories qui ont des obligations différentes. Il ne devrait pas être impossible de parvenir à être (presque) aussi subtil pour la svod.

3 : Le critère de la rentabilité remplace le nombre d’abonnés dans un nouveau contexte économique

Au troisième trimestre 2022, de juillet à septembre, les résultats financiers des principaux services américains, du moins ceux qui publient les comptes de leur activité de svod, ont été les suivants :

En millions de dollarsBénéfices opérationnelsPertes
Netflix1500 
Disney (Disney+, Hulu et Espn+) 1470
Peacock (Comcast) 614
Paramount 343
Warner 634
Sources : LA Times et Hollywood Reporter

A quoi s’ajoute la révision brutale des comptes de Lionsgate qui passe en perte les 1,5 milliards de l’acquisition de Starz et 220 millions de coûts dus à l’abandon des activités en Europe.

Au total les rivaux de Netflix ont perdu (investi?) plus de 4,5 milliards de dollars en trois mois pendant que Netflix en gagnait 1,5. Cette situation s’est bien sûr traduite sur les marchés financiers. L’année avait très mal commencée pour Netflix qui avait perdu en six mois les trois quarts de sa valeur, passant d’un sommet à 610 dollars le 29 décembre à 173 dollars à la mi-juin. Mais qui a depuis récupéré une bonne partie du chemin. En revanche, depuis juin, Disney a perdu 8%, Paramount 36%, Warner 28% et Comcast 17%.

Cette situation n’est pas conjoncturelle : les activités de streaming payant de ces sociétés sont toutes lourdement déficitaires depuis plusieurs années. Sur la dernière année fiscale Disney a perdu 4 milliards dans la svod quand Netflix en gagnait 6.

Jusqu’à l’été 2022 les actionnaires acceptaient l’idée que ces pertes étaient nécessaires pour conquérir des abonnés. C’est sous les applaudissements que Disney a pu annoncer en août que le cumul des abonnés à ses trois services payants dépassait le nombre d’abonnés de Netflix. Mais il semble qu’aujourd’hui les investisseurs examinent plutôt un autre chiffre, celui des recettes par abonné. Aux Etats-Unis un abonné Netflix rapporte 16 dollars par mois au service, et 12 en moyenne dans le monde pour l’ensemble des abonnés. Pour Disney le même indicateur n’est que de 6,3 aux Etats-Unis et un peu moins de 4 pour l’ensemble. Celle valeur à même baissé d’un trimestre à l’autre. En d’autres termes un abonné Disney rapporte trois fois moins qu’un abonné Netflix. Nous avions déjà signalé que les prix des nouveaux services étaient trop bas pour être soutenables. Ils ont d’ailleurs largement augmenté en 2022, d’environ 18% en moyenne, soit largement plus que l’inflation. Mais pour les services mondiaux comme Netflix, Disney, Apple ou Amazon, la bataille des communiqués sur le nombre total d’abonnés mélange opportunément des abonnés américains à 18 $ (taxe comprise) et des abonnés indiens à 2 dollars.

Une notion, certes peu intuitive, commence à être évoquée, celle d’abonné non rentable.  Conquérir des abonnés n’est pas gratuit. Netflix par exemple a dépensé 2,5 milliards de dollars en marketing en 2021. Suivant les pays, suivant le degré de concurrence, faire entrer un nouvel abonné peut coûter entre 40 et 150 euros. Pour que cette dépense soit rentable il faut ensuite que le client reste assez longtemps pour que la marge réalisée par abonné compense cette dépense initiale. Par exemple s’il a fallu dépenser 100 euros pour conquérir un abonné, et qu’on réalise une marge de 2 euros par mois et par abonné, il faut qu’il reste au moins 50 mois, plus de quatre ans, pour que l’opération soit rentable. Il y a donc trois types d’abonnés non-rentables : ceux qui ne restent pas assez longtemps, ceux qui ne paient pas assez cher pour dégager une marge, enfin ceux qui ont coûté trop cher à faire entrer.

Cette question est d’autant plus épineuse pour les opérateurs que le marché, comme vu précédemment, s’approche de la saturation. Car les derniers clients à s’abonner sont en général moins rentables que les premiers. On atteint une couche de clientèle sans doute moins aisée, plus sensible aux prix, moins motivée, donc nécessitant une plus grande dépense de marketing, et probablement plus infidèle.

Le retournement de la conjoncture économique et surtout financière mondiale avec la montée des taux d’intérêts inaugure donc une nouvelle ère où il est beaucoup moins facile de promettre la lune pour dans cinq ans simplement avec la croissance du nombre d’abonnés. L’époque est désormais à une diminution des coûts.

4 : La réduction de la voilure et le recours à la publicité

Il est amusant de constater qu’alors que dans la première phase les grands services de svod étaient vus comme une alternative radicale à la télévision, sans publicité et proposant uniquement des programmes de stock, les plus grands, Netflix, Disney, Amazon, se rapprochent aujourd’hui au contraire de plus en plus de la bonne vieille télévision en achetant des droits sportifs, en produisant de plus en plus de flux et avec désormais la proposition d’abonnements moins chers mais avec de la publicité. Comme dans le même temps, en sens inverse, les télévisions se dotent presque toutes d’un étage payant, on semble assister à une grande convergence des modèles.

Mais le recours à la publicité a peu de chances de bouleverser en profondeur les modèles économiques des grands acteurs de la svod et c’est avant tout une façon de poursuivre l’ancienne course au nombre d’abonnés ; sans résoudre le problème de leur rentabilité. Un abonné à Netflix rapporte en moyenne 144 euros par an, contre 48 pour Disney. Mais PlutoTV, service d’Avod financé par la publicité, ne gagne aux Etats-Unis que 14 euros par an et par utilisateur. Il est très probable que Netflix et Disney feront mieux, mais la question difficile sera de savoir si les abonnés au service avec publicité seront de nouveaux abonnés, apportant donc de nouvelles recettes, ou au contraire des abonnés premium passant au contrat avec publicité, diminuant donc la rentabilité du service.

Face à ces incertitudes, en attendant, les grands services américains ont fait ce que les marchés financiers attendaient: ils ont licencié.

Netflix a annoncé 150 licenciements en mai, suivis par 300 autres en juin. La nouvelle direction de WarnerDiscovery a demandé 3 milliards d’économies à court terme, licencié une première vague de 125 départs en septembre, et annulé ou retardé un grand nombre de projets. Dans les mois précédents l’hémorragie de départs dans le groupe avait déjà atteint des sommets, on parle de 1000 pertes d’emplois chez HBOMax. Le patron de Disney a lui aussi laissé entendre que des départs sont envisagés et a nommé une équipe chargée d’un ambitieux plan de « cost cutting ». Comcast (NBC, Universal, Dreamworks) a engagé un plan de réduction des dépenses de plus d’1 milliard de dollars dans les programmes et les division TV et production.

Ces annonces concernent pour le moment les activités américaines de ces groupes et n’ont pas d’équivalent en Europe. Mais on doit replacer dans ce contexte de panique la décision de LionsGate de fermer brutalement son service au Japon et en Europe (France, Allemagne, Italie, Espagne, Scandinavie, Benelux) à peine un mois après l’avoir à grand frais renommé de Starzplay à Lionsgate+. Le seul coût de cette fermeture est estimé à 220 millions de dollars.

En matière de dépenses de programmes américains la situation est plus stable. Netflix a simplement déclaré ne pas augmenter ses investissements au-delà du niveau de 2021 soit 17 milliards de dollars, ce qui dans un pays où l’inflation dépasse 10% signifie cependant une diminution en valeur réelle. Apple semble augmenter ses dépenses. Mais Warner, Paramount, Amazon et sans doute Disney envisagent des diminutions. Mais pour les producteurs le souci le plus grave vient non pas des services de streaming mais surtout des chaînes de télévision classiques, confrontées à un marché beaucoup plus déprimé, tant pour les recettes publicitaires que pour les revenus de la distribution sur le câble.

En Europe cependant, et en France en particulier, il semble qu’on observe déjà un changement d’ambiance. La période où Netflix et dans une moindre mesure Amazon faisaient patte blanche pour séduire les producteurs et les pouvoirs publics est terminée. Les conditions contractuelles comme l’interventionnisme dans les projets, voire sur les tournages, se durcissent. Mais les vagues de « cost cutting » mettront peut-être quelques mois à traverser l’Atlantique.

5 : Vers un rapport différent aux programmes

Dans l’ère de développement extensif l’indicateur le plus important, parfois unique, de l’offre de programmes était le nombre. Salto à ses débuts promettait 10.000 heures de programmes, Paramount+, avant son lancement en France parle de 4000 titres et 17000 épisodes de séries. Suivant les pays Netflix ou Amazon proposent entre 3000 et 7000 titres. Avec le temps cet argument tend à perdre de l’importance. Entre 2010 et 2020 le nombre de films proposés par Netflix aux Etats-Unis a été pratiquement divisé par deux :

Cela n’a pas empêché le service de multiplier sur la même période son nombre d’abonnés par 10 malgré de fortes augmentations de prix.

Un catalogue trop large pose en effet deux problèmes. Le premier est ergonomique. Malgré les efforts des systèmes de recherche, ou la mise en avant, algorithmique ou non, en fonction des goûts supposés des utilisateurs, l’immense majorité des titres proposés n’arrive jamais à la conscience des abonnés et sera donc évidemment encore moins vue. Cependant les titres non-vus sont encombrants et rendent encore moins visibles ceux qui pourraient l’être. Pour l’abonné l’avantage de l’impression qu’il y a « tout » risque d’être compensé par l’impression qu’on ne se sert de presque rien dans cette offre. Le second problème est naturellement le coût de ces programmes dont aucun n’est gratuit et qu’il faut renouveler régulièrement.

Netflix en particulier s’est engouffré à partir de 2012 dans une course à la quantité dont le résultat qualitatif est discutable. Nous avions montré dans un article précédent que ce modèle de production était bien différent du modèle audiovisuel classique et donnait aux films un assez triste destin. En dix ans Netflix a présenté près de 600 films « originals » parmi lesquels très peu ont atteint une notoriété minimale. Amazon a moins produit mais a suivi à peu près la même logique.

Cela contraste avec la politique de Disney dont la tradition au contraire consiste en principe à produire peu, au moins en ce qui concerne les longs métrages, mais en cherchant le maximum de visibilité pour ses titres. Dans le système Disney un titre ne doit pas seulement être vu, il doit également être mémorisé pour permettre sa déclinaison ultérieure en droits dérivés, attractions, croisières.

Le changement de conjoncture conduisant à la réduction probable des budgets d’investissement va sans doute conduire à une convergence des politiques des grands acteurs vers moins de titres et plus de visibilité pour ces titres. Netflix pourrait se disneyiser (pour les programmes) et Disney se netflixiser (pour les tarifs).

Conclusion 

A une période de multiplication d’offres à bas prix (entre 5 et 10 euros par mois) alimentées par une production « industrielle » de programmes dans le but de conquérir le maximum d’abonnés, succède progressivement une nouvelle économie avec des prix nettement plus élevés (entre 10 et 20 euros), un objectif stratégique de minimiser le churn, et une approche plus qualitative des programmes.

Dans ce nouveau contexte de faible croissance les services les plus menacés sont d’une part les services des majors américaines autres que Disney qui ne pourront pas toutes parvenir à la rentabilité, les petits services nationaux indépendants et d’autre part les services européens proposés par des opérateurs de télécoms. En revanche Netflix et Disney d’une part et les services payants des grands groupes de télévision commerciale, pour des raisons différentes, vont consolider leur modèle. Pour les acteurs non-audiovisuels, Amazon et Apple, les perspectives sont beaucoup plus ouvertes, allant d’un abandon d’une activité non-rentable dans un contexte de retour à la « rigueur » au rachat d’un des studios en passant par le maintien d’une politique qui s’apparente plus à une stratégie de communication qu’à une logique industrielle.

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8 réflexions au sujet de “La nouvelle économie de la svod”

  1. Je me souviens que, dès 2003, au CTAM, le patron de Starz, John Sie, prédisait que l’avenir serait à la SVOD. Que de temps perdu par les groupes médias mondiaux qui pensaient plus à à préserver leur modèle vache à lait qu’à préparer l’avenir…
    J’en sais quelque chose pour l’avoir vécu et avoir prêché dans le désert.
    Aujourd’hui, avec la concurrence et le contexte économique morose, la situation est moins florissante. Mais le mouvement de consommation personnalisée de programmes/contenus à la demande va continuer à s’amplifier. Avec des acteurs comme YouTube (Google) notamment.
    Il y aura des fusions/absorptions, des fermetures, des redimensionnements, des changements de stratégie au cours des prochains mois car tous les services de SVOD ne peuvent subsister. En somme, ce marché va se rationaliser.

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  2. Merci beaucoup pour votre article (et tous les autres !).

    J’imagine que la réponse est évidente pour vous en tant qu’expert mais j’aurais bien une question à vous poser, s’il vous plaît : pour quelle(s) raison(s) les grandes plates-formes de streaming musical comme Spotify, Apple Music ou Deezer proposent la quasi-intégralité du catalogue de titres musicaux disponibles numérisés alors que ce n’est pas du tout le cas des grandes plates-formes de streaming vidéo comme Netflix et Amazon Prime Video ?

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    • Bonjour,

      Il y a plusieurs raisons pour cette différence:
      1: Les services musicaux sont gérés par des sociétés qui ne produisent pas de musique. Elles sont donc “neutres” par rapport aux propriétaires des droits musicaux (majors ou indépendants). En revanche les grands services de svod sont gérés par des sociétés qui détiennent les droits de certains films. Elles n’ont généralement pas envie de les “prêter” à leurs concurrents.
      2: Les droits musicaux sont généralement en mode “non-exclusifs”, c’est-à-dire que tout le monde peut les acheter. On va donc retrouver les Beatles ou Jul sur toutes les plateformes. En revanche les films, en tout cas les films récents, sont vendus souvent en exclusivité à une seule plateforme. Cela n’a pas toujours été le cas, au début (disons jusqu’en 2014) les droits pour la France étaient en mode non-exclusif, comme c’est toujours le cas pour la VOD à l’acte.
      3: Il y a aussi une raison physique: un film en HD c’est un fichier 700 fois plus gros qu’un morceau de musique et sa consommation demande 40 fois plus de temps. Retrouver un morceau de musique, même parmi 40 millions de titres, est relativement simple: le titre, le nom de l’artiste suffisent et sont non ambigus. C’est très différent pour un film, objet informationnel beaucoup plus complexe: on peut le rechercher par son titre (original, ou version française?), par son réalisateur, par ses vedettes, son genre, voire son époque. Pour que le service soit satisfaisant pour l’utilisateur il y a énormément plus de problèmes ergonomiques, techniques, éditoriaux à traiter pour le film que pour la musique.

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